Édition établie et annotée par Jean-Louis Rançon chez Jean-Paul Rocher, éditeur - 24 octobre 2010
« Après tout, c’était la poésie moderne, depuis cent ans, qui nous avait menés là. Nous étions quelques-uns à penser qu’il fallait exécuter son programme dans la réalité ; et en tout cas ne rien faire d’autre. »
Guy Debord, Panégyrique, tome premier (1989)
Écrit à diverses périodes et à plusieurs mains, Visages de l’avant-garde retrace l’histoire et les conceptions du mouvement lettriste de 1945 à 1953.
Par ses conclusions, ce document émane de l’aile radicale du lettrisme (Serge Berna, Jean-Louis Brau, Guy-Ernest Debord et Gil J Wolman) qui, après sa rupture avec Isidore Isou en novembre 1952, se rassemble en une Internationale lettriste (1952-1957).
Chronologiquement, il prend place après le numéro 2 de la revue Internationale lettriste (février 1953) et aurait dû être par la suite enregistré à trois voix, rythmé par des poèmes et chœurs lettristes. À quelque temps de là, Serge Berna sera exclu de l’I.L., et Visages de l’avant-garde ne sera pas publié. Conservé dans les archives de l’I.L., il deviendra la pièce numéro 101 des Archives situationnistes (AS 101) après la fondation de l’Internationale situationniste en juillet 1957.
Entre deux Improvisations mégapneumes de Gil J Wolman enregistrées en mai 1951, le texte s’ouvre sur un extrait de l’avertissement de Max-Pol Fouchet paru dans la revue Fontaine en octobre 1947 dans lequel celui-ci accordait une place prépondérante au lettrisme, considéré comme seule école poétique de l’après-guerre. La revue fit scandale tant auprès des anciens dadaïstes que des surréalistes.
À la suite d’un bref aide-mémoire pour une histoire de la poésie de 1857 à 1945 — Baudelaire, Mallarmé, Verlaine, Lautréamont, Rimbaud, Jarry, Apollinaire, Tzara, Breton, Isou —, celle-ci est définie et illustrée dans ses diverses périodes : amplique jusqu’à Victor Hugo, ciselante depuis Baudelaire, et enfin lettriste, comme l’exposent « Les principes poétiques et musicaux du mouvement lettriste » parus en juin 1946 dans la revue La Dictature lettriste.
Quelques considérations critiques sur le surréalisme — extraites principalement de « Qu’est-ce que le lettrisme ? » qu’Isou avait publié dans ce même numéro de Fontaine — précèdent une évocation de l’activité du groupe lettriste à partir de 1946 et singulièrement celle des protagonistes des années 1950-1952. On y retrouve des fragments de textes de Brau, Wolman ou Berna parus dans le premier numéro de la revue Ur en décembre 1950 ainsi que les divers scandales menés par les lettristes.
Après l’intervention de l’Internationale lettriste contre Charles Chaplin à l’hôtel Ritz en octobre 1952 et son désaveu par Isou, Visages de l’avant-garde se conclut par le Manifeste de l’I.L. du 19 février 1953 et sur ce constat de rupture sans retour avec le lettrisme isouïen : « Mais les écoles meurent pour laisser la place à des hommes complexes. »
Ces pages dépeignent avec vivacité l’activité du mouvement lettriste de sa genèse à la création de l’Internationale lettriste et conservent le parfum d’une époque révolue. Il m’a semblé pertinent de les publier notamment parce qu’elles décrivent l’instant où Guy Debord fait son entrée dans le milieu des entrepreneurs de démolitions : la suite était déjà contenue dans le commencement de ce voyage…
Jean-Louis Rançon
Visages de l’avant-garde
Improvisations mégapneumes (30″)
silence (3″)
voix 1 Dans le numéro de Fontaine consacré aux tendances de la poésie en 1947 [1], Max-Pol Fouchet écrivait :
Les Champs magnétiques paraissaient en 1921, et aussi Les Nécessités de la vie et les Conséquences des rêves. On avait pu lire, un an plus tôt, les Sept manifestes Dada [2]. Certes, c’est en 1924 qu’André Breton publie le Manifeste du surréalisme, Paul Éluard : Mourir de ne pas mourir, Benjamin Péret : Immortelle maladie, Pierre Reverdy : Les Épaves du ciel. Mais, quoi qu’il en soit, les trois années initiales de la paix voyaient surgir des œuvres qui témoignaient et d’une conduite à l’extrême de précédentes découvertes et d’un décisif engagement de la poésie sur les voies de l’aventure et de la révolte. En d’autres termes, trois ans après Versailles, s’imposaient des livres qui mettaient en place Dada et le surréalisme.
Assistons-nous aujourd’hui, trois ans après la Libération, et dans le domaine de la poésie, à des événements, à des avènements comparables ? La question a son importance ; on ne l’éviterait pas sans indifférence. Mais encore réclamerait-elle qu’on y répondît avec du recul, voire qu’on remît à plus tard de mesurer l’exact intérêt de tels apports. De même ne commettons-nous pas l’erreur de croire que, fatalement, les guerres sont suivies de renouvellement, imposent des cadres inédits, tracent des lignes de départ comme elles tracent, sur les cartes, de soudaines frontières. Les guerres sont des périodes, non des époques. La preuve en est que les plus importants des livres de poésie parus depuis trois ans — au hasard : Seuls demeurent, Le Poème pulvérisé, Exil, Paroles, l’Ode à Charles Fourier [3], etc. — ne sont pas signés de noms jusqu’alors inouïs. Les poètes majeurs de 1947 sont ceux de 1939, et d’avant même — pour ceux-ci : Péguy, Apollinaire, Valéry, toujours vivants, ou Fargue, Claudel, Gide — pour ceux-là : Breton, Éluard, Supervielle, Saint-John Perse, Reverdy, Artaud… La popularité récente d’un Henri Michaud ou d’un René Char ne saurait nous abuser : ils écrivaient avant la guerre, tout comme un Gracq ou un Queneau. Il s’agit seulement d’une accession à un plus large public — et il n’en va pas autrement pour un Prévert, dont le Dîner de têtes date de 1931. Frénaud, Césaire, par contre… Mais quoi ! presque tous ces poètes atteignent ou dépassent la quarantième année de leur âge — et ce n’est que rarement l’âge auquel on entre en poésie.
Notre poésie, pour autant, connaîtrait-elle, en 1947, une période de basses eaux ? Une suffisante relève ne se dessinerait-elle pas ? Les jeunes poètes ne parviendraient-ils pas à se dégager de l’onéreuse influence de leurs aînés ? Les établissements de notre lyrisme depuis Baudelaire et Rimbaud, Lautréamont et Mallarmé ont-ils énervé ses forces jusqu’à réclamer l’assolement et souhaité la jachère ? D’aucuns l’assurent. J’en sais qui, décidés, dressent un procès verbal d’épuisement. À vrai dire, ils vont vite en besogne. Laissons naître, avant que de fossoyer.
Il apparaîtra que la poésie n’est une fin pour ces jeunes poètes que dans la mesure où elle peut régler le destin de l’homme ou plutôt donner à l’homme la maîtrise de son destin par une absolue coïncidence. Leur plus haute quête n’est pas d’engager la poésie au service de l’homme, mais d’engager l’homme dans la poésie. On ne s’étonnera donc pas que, sans cesse, ils s’en réfèrent, encore qu’ils aient soin de marquer leur distance (et parfois violemment), à André Breton et aux surréalisme. Ils ne transforment pas en moyen ce qui doit être aboutissement, ils ne renversent pas l’engagement. Il restera à prouver qu’ils s’égarent et, quand les systèmes se révèlent si dérisoires, qu’il y a de meilleures voies, et douées de plus d’efficace, pour mener l’homme vers l’abolition de ses ruineuses contradictions — partant : vers la liberté.
Tous ont moins de vingt-cinq ans, et l’on ne sait point que l’un d’entre eux ait été publié avant 1944. Sans doute le lettrisme a-t-il, dans l’ensemble, la part belle. Ne fallait-il pas qu’on le connût mieux ? Ne se targue-t-il pas d’un corps de doctrine ? Et nous nous défendons, encore une fois, d’établir des proportions. L’avenir fera le tri, séparera la paille du grain, jugera, mais le présent, lui, exigeait qu’on se penchât, avant que les eaux n’imposent leur dessin, sur l’effervescence des sources.
Improvisations mégapneumes (30″)
silence (3″)
voix 1 1857
voix 3 Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive,
Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu
voix 1 1865
voix 2 La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
voix 1 1867
voix 3 Pourtant j’aime Kate
Et ses yeux jolis.
Elle est délicate
voix 1 1869
voix 2 Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie !
voix 1 1871
voix 3 A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles
voix 1 1896
voix 2 Merdre
voix 1 1917
voix 3 Il y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aile
Nous l’enverrons en message téléphonique
voix 1 1918
voix 2 a e o i ii i e a ou ii ii ventre
montre le centre je veux le prendre
voix 1 1923
voix 3 Un soir près de la statue d’Étienne Marcel
M’a jeté un coup d’œil d’intelligence
André Breton a-t-il dit passe
voix 1 1945
voix 3 Un petit Juif aux yeux myopes chassé de sa Bessarabie par le carcsac guerrier arrive à Paris traînant une machine infernale. [4]
AI BIDJIBIDJIBAI, poème lettriste
silence (3″)
voix 1 Monsieur, Suite à vos démarches, nous vous informons que le comité de lecture des éditions Gallimard a jugé impubliable votre essai : Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique.
voix 2 Monsieur, Suite à vos démarches, nous vous informons que le comité de lecture des éditions Julliard a jugé impubliable… (chuinté)
voix 1 Monsieur, Suite à vos démarches, nous vous informons que le comité de lecture des éditions Flammarion… (chuinté)
voix 3 Seghers – Stock – Calmann-Lévy – Éditions de Minuit… (chuinté)
voix 2 Chaque génération apporte une masse de valeurs nouvelles que les vieux birbes de votre espèce étouffent. Je vous préviens que mes amis et moi iront vous casser la gueule si vous ne publiez pas mon œuvre qui doit apporter de grands bouleversements. Je ne vous salue pas. Isidore Isou.
voix 1 Et tous les jours, sur les murs, des inscriptions s’accumulaient : « Retrouvera-t-on votre cadavre au coin de la rue Sébastien-Bottin ? »
voix 2 1947. Publication aux éditions Gallimard de l’Introduction à une nouvelle posésie et à une nouvelle musique.
voix 3 On constate au cours de l’évolution de la poésie deux périodes bien distinctes : l’une d’amplitude débute avec l’apparition de la poésie dans le monde et s’achève avec Victor Hugo ; l’autre commence effectivement avec Baudelaire et dure encore. On la définit : période de ciselure.
voix 2 La période amplique, parce qu’elle disposa de tous les éléments qui furent nécessaires, réussit à créer des œuvres immenses traitant de sujets larges et divers. Ce qui constitua le trait prépondérent de cette époquie, ce fut que possédant tant de matériaux, elle put créer en dehors de son propre domaine.
voix 3 Elle s’est préoccupée de décrire des sujets extrinsèques étrangers à elle-même (des idées, des anecdotes, etc.).
La condition de la poésie, l’a priori auquel le poète était lié était le discours, et sa seule façon de lui résister, c’était précisément de créer par le vers. Les amateurs de poésie étaient toujours préoccupés de savoir ce que le créateur avait exprimé dans son œuvre : que ce soit une épopée, une histoire d’amour ou une narration sentimentale. Pour le poète de cette période, la poésie n’est qu’une forme passagère pour exprimer ce qu’il voulait dire. Avant tout, il était nécessaire qu’il en possédât l’idée, le sujet. Cette versification est exclusivement sociale. On la récite à des occasions solennelles, on la déclame dans des salles publiques, on la dit dans les salons, au cours des manifestations et des assemblées populaires, et ceci, parce qu’elle possède des éléments clairs et généraux.
La poésie ne possède pas de domaine et découvre ses sujets partout, pour pénétrer, souvent, même en des disciplines qui lui sont étrangères.
voix 2 Chanson de Maglia
Vous êtes bien belle et je suis bien laid
À vous la spendeur de rayons baignée ;
À moi la poussière, à moi l’araignée.
Vous êtes bien belle et je suis bien laid ;
Soyez la fenêtre et moi le volet.
Nous réglerons tout dans notre réduit.
Je protégerai ta vitre qui tremble ;
Nous serons heureux, nous serons ensemble ;
Nous réglerons tout dans notre réduit ;
Tu feras le jour, je ferai la nuit. [5]
voix 3 La poésie ciselante s’engage sur une nouvelle voix. Après Baudelaire, toute la vision poétique est transformée. On élimine les sujets. Les poètes essaient alors à créer la poésie dans son essence. Ils cherchent à faire un poème par l’équilibre des vers mêmes, par l’arrangement des beautés de la langue. Le poète, pour la victoire de son œuvre, ne part armé d’aucun secours traditionnel. Le travail poétique devient une purification, une destruction. On essaie de chasser tout ce qui a une correspondance quelconque avec des éléments qui lui sont étrangers.
On recherche des métaphores, des images, des mots précieux et rares, le choc de certaines altérations ressorties de paroles.
On cherche à dégager des lois, ainsi que la profondeur de la poésie même.
Ouvrage de spécialiste, parce qu’on ne trouve plus le sens général et on ne communique plus avec le lecteur dans d’autres domaines. C’est pourquoi, la poésie fut, alors, un métier compris seulement par les techniciens et les connaisseurs, s’éloignant du public qui ne peut s’attacher à une stricte spécialisation.
voix 2 cendrier pour fumeur d’algues et de filtres interrègne
des isthmes inventaires inventions manège crime
lixiviation
les dadaïstes au gouvernail du gulf-stream sarbacane
portent des moustaches légitimes et latines
soignent les fistules de lazulite
lazulite lazulite
qui escalade le capricorne attraction du vaccin zélé tétrarque
et fait des provisions de fissures fossiles
d’érections filtrées par le thorax de jésus
pronostics attaques chackelton du sous-cerveau [6]
voix 3 Nous avançons dans la destruction complète et pratique du vocable jusqu’à la lettre.
En détruisant le mot nous avons trouvé un matériel nouveau, aussi poétique que l’ancien, qui n’a plus de sens, plus de logique et qui, outre cela, possède cette musique qui fut le désir séculaire de la poésie.
Les critiques de notre temps prétendent qu’il est impossible de progresser dans le perfectionnement du détail. Nous protestons contre ces limites lancées comme un défi à la possibilité du poète.
Après le mot, nous pouvons ciseler la lettre. Nous poussons le précieux et le détail jusqu’à cette minuscule valeur méprisée, que nous découvrons comme l’unité de mesure d’une œuvre que l’on doit réaliser jusqu’à l’épanouissement parfait.
Nous voulons créer des beautés entières avec des lettres. Nous voulons créer des œuvres d’art qui enchantent, impressionnent et émeuvent par la beauté de ses unités lettristes.
Il s’agit de prendre toutes les lettres en commun, de déplier devant les spectateurs éblouis des merveilles réalisées en lettres ; de créer une architecture de rythmes lettristes ; d’accumuler dans un cadre précis les lettres fluctuantes ; d’élaborer splendidement le roucoulement habituel ; de coaguler les miettes de lettres dans un véritable repas ; de ressusciter le confus dans un ordre plus dense ; de rendre compréhensible et palpable l’incompréhensible et le vague ; de concrétiser le silence ; d’écrire le Rien.
C’est le rôle du poète d’avancer vers les sources subversives ; l’obligation du poète de devancer dans les profondeurs noires et chargées d’inconnu ; le métier du poète d’ouvrir devant l’homme moyen encore une porte à trésors. Il y aura un message de poète en nouveaux signes. On appelle l’ordonnance des lettres, le LETTRISME.
voix 2 PRINCIPES
voix 3 Le lettrisme est l’art des lettres rendues à elles-mêmes et considérées comme éléments constitutifs de poèmes nouveaux.
voix 1 Nous avons rendu visible le fait pressenti que la poésie n’a rien à voir avec la littérature.
voix 3 L’avenir de l’art ne pourra être que sur-lettriste et non sous-lettriste. On ne pourra détruire la lettre qu’en l’assimilant, la perfectionnant et l’épuisant par le surpassement. On ne l’oubliera pas en l’ignorant et en se rappelant son existence trop souvent, jusqu’à en « avoir marre ».
TKDL TAKADELENEN
voix 1 Le lettrisme est-il de la poésie ou de la musique ?
voix 2 Le lettrisme n’est ni l’un ni l’autre. IL EST.
Composé hybride de deux arts moribonds, il en assure la pérennité dans le cadre d’un art nouveau.
voix 1 Le lettrisme est-il un langage ?
voix 3 Le lettrisme ne veut pas détruire des mots pour d’autres mots, ni forger des notions pour préciser leurs nuances. Il s’agit de dire pour dire. Il n’y a pas de dictionnaire chez nous, nous n’avons pas de notions et de mots à vous offrir, mais la beauté des lettres, les atmosphères qui se forment autour de voyelles et de consonnes.
Un mot ne sert pas à dessiner quelque chose, à nommer quelque chose, mais à faire agir les hommes [7].
Les unités lettristes que nous créons ne sont pas plus vectrices de concept qu’un accord de Bach. Mais nous ne nous attaquons pas au problème du langage. En prononçant le divorce définitif de la poésie d’avec la littérature, nous avons mis fin à une confusion qui faisait de la langue dialectique, sophistique, philosophique et commerciale l’élément constitutif d’un art anti-dialectique, anti-sophistique, anti-philosophique et gratuit.
voix 1 Le lettrisme est anti-populaire !
voix 3 C’est une proposition aussi stupide que ceux qui la lancent. Parce qu’il ne fait appel à aucune connaissance, le lettrisme s’adresse à tous et non à quelques-uns. Lorsque pour répéter certains de nos récitals nous fûmes obligés d’aller sur les berges de la Seine, les terrassiers cessaient de travailler pour venir nous écouter, comme le dimanche on va au Luxembourg écouter les concerts.
DID-GIVAM [8]
voix 1 Quelle est l’attitude du lettrisme à l’égard de la littérature contemporaine ?
voix 2 Le mépris ! [9]
silence (3″)
Improvisations mégapneumes
silence (3″)
voix 1 Le dadaïsme avait déjà pris conscience de la faillite de l’organisation conceptuelle du langage. « La pensée se faisant dans la bouche », le mot était libéré de sa charge intellectuelle. Mais si cela représentait un bouleversement de l’intelligence, il n’y avait pas transcendance du matériel poétique. L’utilisation par les dadaïstes d’éléments extrinsèques à la poésie tels que le hasard, l’automatisme gratuit et l’adjonction des moyens typographiques, plastiques et autres, est la preuve de l’épuisement de toutes les combinaisons possibles de mots, aboutissement de ce que nous nommons période de ciselure.
voix 2 Après Dada, le surréalisme ne fut qu’un recommencement, une réaction poétique. C’est pourquoi Aragon pourra dire plus tard :
voix 3 Cette anarchie devait se résoudre dans l’adoption d’un système qu’on appela le surréalisme, et qui était le refus, entre autres, de pousser au delà d’un certain point la critique du langage. C’est par là qu’il se distingue du dadaïsme. C’est par là qu’il rend valeur à toutes sortes d’expressions poétiques que Dada rejetait dans la même voirie.
Avec le surréalisme, meurt le mythe des mots en liberté. La phrase renaît. Elle devient l’unité du délire. Avec ses traditions, ses ressources. On réhabilita la période, le balancement des propositions. Au bout des mouvements des mots, des compléments classiques tombèrent trois par trois, ou des épithètes. La création, ce qui était créer, en ce temps-là, dans ce système-là, on ne manque pas de souligner que c’était le plus souvent redonner jeunesse à bien des vieilleries poétiques…
Cela sera sans doute ce que l’avenir en retiendra : cette remise sur le carreau poétique de tout ce que le goût négateur en avait peu à peu rejeté. Le surréalisme rendait droit de cité dans l’écriture à tous les mots progressivement bannis par les écoles successives, les goûts successifs…
Il avait mis le point final au procès dada du langage. Il n’en avait pas prononcé le verdict. [10]
voix 1 Nous constatons que la dynamique évolutionnaire des premiers surréalistes s’est amoindrie sous un fatras de mystico-pittoresque et a perdu de vue le problème formel de la poésie, ce qui était la condition nécessaire d’une progression.
Le fait même d’exhumer un Maurice Scève, un Guillaume Budé, un Xavier Forneret, au delà d’un certain humour mystificateur, fait montre de l’impuissance de ceux qui ont voulu être des révolutionnaires intégraux. L’Art poétique surréaliste ne fut pas l’illustration d’un moment donné de la ligne d’or de l’évolution poétique mais fut axé sur l’originalité de leaders successifs : délire hypnotique d’un Desnos, délire verbal d’un Aragon, délire paranoïaque d’un Dali.
voix 3 Ce qui demeure persistant dans l’écriture de Breton s’avère être sa « foi dans l’automatisme comme sonde », non seulement comme méthode d’expression sur le plan littéraire et artistique, mais encore comme première instance en vue d’une révision générale des modes de connaissance.
Mais n’importe quel manuel de psychologie contemporaine nous apprend que l’automatisme ne peut amener aucune nouvelle création (et le surréalisme en dehors de ce dérèglement même n’a amené aucune création) parce qu’il est seulement dérèglement des choses. Désordre des données anciennes et non sonde de la découverte inédite. Autant qu’il est un déchaînement mécanique, l’automatisme est une répétition qui mène à l’habitude. Il devient ainsi contraire à la création bergsonienne, qui est, justement, la brisure des actes réglés. L’automatisme est une force naturelle, « inerte », importante pour l’homme autant qu’on peut la régler du dehors, et non autant qu’elle est passive et que nous acceptons de nous baigner en elle, sans autocritique. Cela mène au comique par « boule de neige », à l’absurde, voire à « l’humour noir », pour ceux qui se trouvent en dehors ; pour ceux qui s’y soumettent, cela n’entraîne que le confusionnisme et la stupidité qui sont de l’autre côté de la découverte. L’idée produit le mouvement parce qu’elle a, avec lui, une communauté de structure. Elle agit, non en vertu de sa ressemblance avec le mouvement (comme le veut Breton qui bouge, croyant penser), mais par suite d’une fréquente contiguïté avec lui. Les révisions générales des modes de connaissance n’ont été obtenues que par un sauvetage au delà de tout automatisme.
Si par rapport à Tzara, Breton marqua un temps de réaction, la série des poètes mineurs de Michaux à Ponge en passant par Prévert, René Char et Saint-John Perse fut réactionnaire par rapport à Breton.
C’est pourquoi lors de la remise en question de la poésie après les années 1940-45, même ceux qui formulèrent des réserves quant à la « valabilité » du lettrisme, comme Étiemble, Gaëtan Picon, Maurice Nadeau, furent obligés de reconnaûtre que c’était en lui qu’il fallait placer les seuls espoirs d’un renouveau poétique.
poème lettriste
silence (3″)
voix 2 Un mouvement littéraire véritable naît lorsqu’un individu ou plusieurs, en découvrant un domaine d’activité, sont conscients qu’ils ne seront pas capables à eux seuls de résoudre tous les problèmes que le nouveau terrain dévoile brusquement, qu’il faudrait des années et des années de travail acharcné, des vies entières consacrées, sacrifiées à ces idéaux pour pouvoir perfectionner les virtualités, mener les recherches jusqu’à leurs victoires.
Si le terrain est authentique et riche, s’il permet le développement des tendances qui se cherchaient ailleurs, s’il se démontre à un certain instant l’unique moyen de réaliser la concentration de toutes les poussées, comme des flèches à atteindre la cible, dernier chemin pour toutes les soifs et pour chaque avidité, alors seulement il devient nécessaire et possède la chance de se projeter historiquement. [11]
voix 1 À ce manifeste d’Isidore Isou répondit un certain nombre de jeunes, attirés moins par les possibilités de création qu’apportait le lettrisme que par son caractère d’apparence scandaleuse. Ce fut ce qu’on peut appeler la première vague lettriste avec : Paul Armandy, Gérard Baudoin, George Catinot, Max Deutsch, Charles Dobzynski, Pierre Finois, Claude Hirsch, Henri Joffe, Bernard Lecomte, Robert Loyer, Guy Marester, Richard Marienstras, Louis Mortier, Pierre Pellissier, Gabriel Pomerand, Georges Poulot, Bernard Rivollet, Jacques Sabbath, Henri Zalestin. [12]
Harpe en forme de tavane [13], poème lettriste
voix 3 Mais les sarcasmes de la critique, ces éternels grognements des porcs joints au peu d’ardeur pour un mode nouveau d’expression et à une méconnaissance des notions primaires de phonétique, d’acoustique et de composition musicale détachèrent peu à peu ce premier groupe du lettrisme, et il ne se manifesta qu’à l’occasion des scandales qui émaillèrent la vie intellectuelle de Paris des années 45-47 ; troubles à la première de La Fuite, la pièce résistantialiste de Tristan Tzara au théâtre du Vieux-Colombier [14], interruption des conférences de Gabriel Marcel [15 ], rixe avec les disciples de Jean-Paul Sartre dans les ruelles de Saint-Germain-des-Prés.
poèmes lettristes
silence (3″)
voix 2 Après une période d’inaction assez longue, le début de l’année 50 vit l’arrivée au mouvement de deux poètes de valeur qui avaient vécu, par leurs expériences individuelles, l’épuisement et la faillite du mot et qui allaient, par leursœuvres et leurs critiques, faire entrer le lettrisme dans sa période d’élaboration effective.
Jean-Louis Brau et Gil J Wolman rassemblèrent autour du Front de la Jeunesse des jeunes intellectuels désireux d’échapper au cadre restreint de la poésie pour s’emparer du domaine économico-politique. [16]
Le circuit économique classique était fondé sur les rapports entre agents ayant une possession sur les biens, définition de l’homo œconomicus de Strigl. [17]
Les perturbations du circuit ne pouvaient être expliquées que par des formulations vaseuses telles que l’augmentation des besoins pour Keynes et l’historicité pour Marx. La découverte d’une masse non productrice — telle est l’externité — détachée du circuit, laissait envisager une explication nouvelle. C’est animé de cet esprit que Serge Berna monta en chaire à Notre-Dame, interrompant la messe pascale, pour manifester la volonté de toute une génération de chasser les idées mortes. [18]
Au sujet de Serge Berna les juges ne savaient plus sur quel pied guillotiner : un paillard ? un anarchiste dangereux ? un provocateur payé par le Parti ? ou par l’Église elle-même, dont le machiavélisme est légendairement insondable.
Dans son essai sur L’Esthétique du scandale, Serge Berna raconte lui-même un autre scandale qu’il fit lors d’une cérémonie organisée par l’orphelinat d’Auteuil où il voulut s’élever contre la tyrannie exercée sur les jeunes :
voix 3 Donc nous irons à Auteuil porter ce scandale dont je suis devenu le soldat de fortune. Pendant que le rire suait le long des murs de ma gorge je m’acharnais à faire mes ongles en une toilette funèbre car il faut être prévoyant et envisager le pire.
Alors se mirent à défiler les paires interminables des noirs orphelins et je me mis à aimer (je peux aimer n’importe quoi, sur commande) cette sordide bouture solidement encorsetée par les prières des fidèles : un ave-maria, un coup de pied au cul ; un cave-paria, un moup ne vied auv mul ; un oupav-curia, un lepera-pem-vel-care ; un coup de pied au cul, un ave-maria. Puis la haine. Aider immédiatement, sans la lente patience érosive du temps, à acoucher chez ces petits la haine en une césarienne bien sanglante pour qu’ils puissent de suite tout tirer…
Je marchais lentement dans l’Or. Je flottais dans le velouté de ces cantiques. Les peaux et les voix trop hautes coulaient dans les lisières des gazons entretenus comme Arlette par son commanditaire en gros. Les strates épaisses successives des corps, des odeurs se balançaient sur les bilboquets noirs : flics et prêtres…
En fait, on s’emmerdait un peu à attendre ce fameux moment propice : c’était bourré de flics et on était un peu visibles, nantis de chemises à carreaux et d’espadrilles dans un coin très fourni en populace. Plein le dos de regarder là-bas, vers le fond, par-dessus la ligne sombre des orphelins, vers l’autel comme une noce de jaunes, de rouges, de violets avec des individus rôdant autour d’une tige de fer blanche dressée sur une tête triangulaire… [19]
silence (3″)
voix 1 Cependant le groupe n’en continuait pas moins à se manifester dans le domaine du lettrisme propre.
C’est en octobre 50 que se situe la campagne de récitals organisée dans la cave du Tabou, mais la police remarqua rapidement sur les grandes affiches jaunes qui annonçaient ces manifestations quelques-uns des responsables des récents scandales. Après quelques pressions le Tabou fut fermé pour « insalubrité ». On put voir alors les lettristes lancés à la recherche des salles disponibles. Récital du Royal Odéon le 15 octobre, récital de la Rose Rouge le 18, Maison des Lettres, 21, 22, 23. [20]
poème lettriste
silence (3″)
voix 2 À l’occasion de la présentation au festival de Cannes 1951 du premier film lettriste Traité de bave et d’éternité [21], dans le tumulte déchaîné par une salle hostile, on vit se lever un jeune garçon enthousiaste qui répliqua aux sarcasmes d’une personnalité connue par un poing vigoureux. Guy-Ernest Debord venait ainsi de marquer son adhésion au mouvement lettriste. Il devait par la suite participer à la nouvelle orientation du groupe en jetant les bases d’une beauté de situation dans son œuvre : Ébauche de psychologie tridimensionnelle [22].
poème lettriste
silence (3″)
voix 2 Cette présentation du Traité de bave et d’éternité marque l’intrusion du lettrisme dans le domaine du cinématographe.
Avec son film L’Anticoncept [23], interdit par la censure et présenté sous le manteau au festival de Cannes 1952, Gil J Wolman marque le divorce définitif entre les images et le son. Wolman accentue ses recherches dans le domaine de la parole et parvient à des résultats que les critiques les plus réticents ont été obligé de reconnaître comme les expériences les plus étonnantes. Wolman découvre un nouveau mouvement qu’il appelle cinématochrone.
Dans Hurlements en faveur de Sade [24] Guy-Ernest Debord s’élève avec le plus de violence possible contre un certain ordre éthique.
Serge Berna veut que le spectateur assistant à son film Du léger rire qu’il y a autour de la mort [25] soit à tel point pénétré par la cadence du son, qu’il meure d’un arrêt au cœur.
Quant au but de Jean-Louis Brau, c’est de faire sauter les barrières du discours sous toutes ses formes, pour arriver à un art brut de la sensation primaire.
En jetant les bases de la stressologie, étude du passage du psychique au physique des effets de chocs, de stimulus, Jean-Louis Brau avance à grands pas vers l’élaboration d’un art total. Les illustrations des manifestations esthétiques à démarche stressographique qu’il a réalisées poétiquement dans des chœurs envoûtants et cinématographiquement dans un grand film d’avant-garde, La Barque de la vie courante, prennent d’ores et déjà place parmi les œuvres clés de l’après-guerre.
chœur lettriste
silence (3″)
voix 3 Entre les manifestations du mouvement, pour lesquelles tous les lettristes étaient mobilisés autour d’une action précise, il y eut de longues périodes de travail interne. Des groupes, formés au hasard des sympathies d’un moment ou d’une similitude de buts précis, fréquentèrent les cafés dits déjà « littéraires » de Saint-Germain-des-Prés et d’autres qui allaient le devenir. Ainsi le café Bonaparte où Maurice Lemaître, Pomerand venaient, chaque jour, prendre les ordres d’Isidore Isou ; le Mabillon, repaire de Serge Berna et de ses « casseurs » ; le Reinitas où Jean-Louis Brau et Gil J Wolman préludaient déjà à l’esprit nouveau ; le Moineau de la rue du Four, pépinière de l’actuelle génération.
chœur lettriste
silence (3″)
voix 2 Sur le plan formel de la poésie, Isou, qui se désintéresse aujourd’hui du lettrisme, et ses suiveurs stagnant dans le donné continuent à briser la structure même du mot et à inverser les sonorités dans un ordre véritable. Combinaisons arbitraires qui bientôt recréent une réalisation conceptuelle. C’était la seule issue possible avec la lettre primaire, étalon immuable.
Il fallait attenter à la lettre.
Ce à quoi s’attache Wolman en créant la mégapneumie.
La mégapneumie est l’art des lettres réduites à elles-mêmes et travaillées. Gil J Wolman désintègre la consonne, déchancre la consonne de la voyelle. Les voyelles sont rendues à leurs puissances hiérarchiques abstraites. De chaque lettre émise, une masse de vibrations restent inaudibles. Pour pallier les faillites de l’ouïe, Wolman introduit le simultanéisme visuel (introduction des lignes et de la couleur). Devant l’impossibilité d’assimilation totale de la vue, Wolman s’adjoint le relief. Ainsi amorce-t-il l’Art intégral qu’il est en train de réaliser avec Jean-Louis Brau. [26]
Mégapneumies
silence (3″)
voix 1 Sur le plan idéologique nous assistons à une rupture définitive entre ceux qui veulent être des littérateurs sans plus et ceux qui veulent aller au delà.
La littérature ne nous passionne que dans la mesure où quelque chose aujourd’hui peut nous passionner.
En octobre 1952 lors de la venue à Paris de Charles Chaplin avec son escorte de sous-préfets bedonnants et de représentants des Arts et Lettres, Serge Berna, Jean-Louis Brau, Guy-Ernest Debord et Gil J Wolman voulurent crier leur dégoût pour cette officialisation de l’anticonformisme.
À la conférence de Presse de Charlot à l’hôtel Ritz, un tract fut jeté à la face de l’ancien vagabond :
voix 2 Cinéaste sous-Mack Sennett, acteur sous-Max Linder, Stavisky des larmes des filles-mères abandonnées et des petits orphelins d’Auteuil, vous êtes, Chaplin, l’escroc aux sentiments, le maître chanteur de la souffrance.
Il fallait au Cinématographe ses Delly. Vous lui avez donné vos œuvres et vos bonnes œuvres.
Parce que vous disiez être le faible et l’opprimé, s’attaquer à vous c’était attaquer le faible et l’opprimé, mais derrière votre baguette de jonc, certains sentaient déjà la matraque du flic.
Vous êtes « celui-qui-tend-l’autre-joue-et-l’autre-fesse », mais nous qui sommes jeunes et beaux, répondons Révolution lorsqu’on nous dit souffrance.
Max du Veuzit aux pieds plats, nous ne croyons pas aux « persécutions absurdes » dont vous seriez victime. En français Service d’Immigration se dit Agence de Publicité. Une conférence de Presse comme celle que vous avez tenue à Cherbourg pourrait lancer n’importe quel navet. Ne craignez donc rien pour le succès de Limelight.
Que votre dernier film soit vraiment le dernier.
Les feux de la rampe ont fait fondre le fard du soi-disant mime génial et l’on ne voit plus qu’un vieillard sinistre et intéressé. [27]
voix 1 Isidore Isou qui avait beaucoup vieilli dégagea sa responsabilité de l’incident par une lettre publiée dans le journal Combat du 1er novembre 52. [28]
La rupture était consommée, et les signataires du tract se groupèrent en Internationale lettriste. [29]
Des jeunes qui avaient été retenus par le caractère pragmatique qu’Isou inculquait au lettrisme les rejoignirent. Parmi eux, Sarah Abouaf, P.-J. Berlé, Leibé, Mohamed Hadj Dahou, Linda, Jean-Michel Mension, Éliane Pápaï signèrent le Manifeste de l’Internationale lettriste :
voix 2 La provocation lettriste sert toujours à passer le temps. La pensée révolutionnaire n’est pas ailleurs. Nous poursuivons notre petit tapage dans l’au-delà restreint de la littérature, et faute de mieux. C’est naturellement pour nous manifester que nous écrivons des manifestes. La désinvolture est une bien belle chose. Mais nos désirs étaient périssables et décevants. La jeunesse est systématique, comme on dit. Les semaines se propagent en ligne droite. Nos rencontres sont au hasard et nos contacts précaires s’égarent derrière la défense fragile des mots. La Terre tourne comme si de rien n’était. Pour tout dire, la condition humaine ne nous plaît pas. Nous avons congédié Isou qui croyait à l’utilité de laisser des traces. Tout ce qui maintient quelque chose contribue au travail de la police. Car nous savons que toutes les idées ou les conduites qui existent déjà sont insuffisantes. La société actuelle se divise donc seulement en lettristes et en indicateurs, dont André Breton est le plus notoire. Il n’y a pas de nihilistes, il n’y a que des impuissants. Presque tout nous est interdit. Le détournement de mineures et l’usage des stupéfiants sont poursuivis comme, plus généralement, tous nos gestes pour dépasser le vide. Plusieurs de nos camarades sont en prison pour vol. Nous nous élevons contre les peines infligées à des personnes qui ont pris conscience qu’il ne fallait absolument pas travailler. Nous refusons la discussion. Les rapports humains doivent avoir la passion pour fondement, sinon la Terreur. [30]
silence (3″)
voix 1, 2, 3 Mais les écoles meurent pour laisser la place à des hommes complexes. [31]
silence (3″)
chœur lettriste
NOTES
1. Max-Pol Fouchet (1913-1980), poète et critique, fondateur à Alger de la revue Fontaine (1939-1947) qui fut pendant la guerre une tribune de la « Résistance littéraire ». Dans l’avant-dernier numéro paru en octobre 1947 sous le titre « Instances de la poésie en 1947 » (n° 62), il y présente un texte du surréaliste Sarane Alexandrian et ceux des lettristes Isidore Isou (« Qu’est-ce que le lettrisme ? ») et André Lambaire (« Considérations sur une phonétique lettriste ») ainsi que « Trois poèmes lettristes » de Jérôme Arbaud, François Dufrêne et Clément Swenssen, puis deux textes d’Henri Pichette et Henri Hell.
2. André Breton et Philippe Soupault, Les Chants magnétiques ; Paul Éluard, Les Nécessités de la vie et les Conséquences des rêves ; Tristan Tzara, Sept manifestes Dada.
3. René Char, Seuls demeurent et Le Poème pulvérisé ; Saint-John Perse, Exil ; Jacques Prévert, Paroles ; André Breton, Ode à Charles Fourier.
4. 1857, Charles Baudelaire, Une nuit que j’étais… (« Spleen et idéal », Les Fleurs du mal) ; 1865, Stéphane Mallarmé, Brise marine ; 1867, Paul Verlaine, A poor young shepherd (« Aquarelles », Romances sans paroles) ; 1869, Lautréamont, Les Chants de Maldoror (chant VI, 1) ; 1871, Arthur Rimbaud, Voyelles ; 1896, Alfred Jarry, Ubu roi ; 1917, Guillaume Apollinaire, Les Fenêtres (« Ondes », Calligrammes) ; 1918, Tristan Tzara, Pélamide (Vingt-cinq poèmes) ; 1923, André Breton, Tournesol (Clair de terre).
On sait qu’Isidore Isou, jeune Roumain de vingt ans arrivé en août 1945 à Paris en « traînant une machine infernale », s’illusionnait quelque peu sur la nouveauté radicale de sa poésie de la lettre. En mars 1947, le dadaïste-Merz Kurt Schwitters pouvait ainsi écrire au collectionneur d’art Gabrielson, à Göteborg : « Il y a encore autre chose : il y a des imitateurs, par exemple, les lettristes à Paris, qui copient l’Ursonate de Hausmann et de moi, et ne nous mentionnent même pas, nous qui l’avons fait vingt-cinq ans avant eux, et avec de meilleures raisons. » (Raoul Hausmann, Courrier Dada, octobre 1958.)
À la suite des violentes polémiques qui opposèrent le poète futuriste zaoum Iliazd et les lettristes sur l’originalité de la poésie lettriste — notamment le 21 juin 1947, dans la salle de la Société de Géographie (184, boulevard Saint-Germain, Paris VIe), lorsque Camille Bryen présidait une conférence d’Iliazd intitulée Après nous le lettrisme à laquelle Gabriel Pomerand répondit et qui se termina à coups de chaises (Bryen fut blessé) —, Iliazd publia en juin 1949 Poésie de mots inconnus, une anthologie de poésie phonétique (1910-1948) démontrant l’antériorité sinon la supériorité des futuristes russes, des poètes zaoum et des dadaïstes de Zurich, Paris et Berlin.
Et le 24 mars 1963, le « dadasophe » Raoul Hausmann écrivait à Guy Debord : « Si Isidore Isou prétend être le premier à avoir fait des poèmes lettristes, qu’il prenne connaissance des récits de Ball dans son Journal de 1916 et des déclarations de Schwitters dans G en 1923. »
5. Victor Hugo, Chanson de Maglia.
6. Tristan Tzara, Cendrier pour fumeurs d’algues… (Cinéma calendrier du cœur abstrait).
7. Phrase du philosophe Brice Parain (1897-1971), auteur de Recherches sur la nature et les fonctions du langage (1942).
8. Poème lettriste de Serge Berna paru dans Ur, cahiers pour un dictat culturel, n° 1 (directeur : Maurice B. Lemaître, décembre 1950), sous le titre Du léger décalage qu’il y a entre le Tam du cœur et son écho aux tempes.
9. On retrouve ces quelques principes dans « Vingt questions sur le lettrisme » de Jean-Louis Brau et Claude-Pierre Matricon publiées dans Ur, n° 1. C’est aussi dans ce texte qu’il est question, pour la première fois, d’une Internationale lettriste mais dans un sens qui n’a rien d’organisationnel : « Ne voulant que “dire pour dire”, le lettrisme ne peut être national. Le poète cesse d’écrire pour des hommes et s’adresse aujourd’hui à l’humanité entière (le métèque Isou, plus grand poète français…) et pose la première pierre de l’INTERNATIONALE LETTRISTE. Pour la première fois, il brise le cadre étroit des langues nationales et enrichit son art. »
10. Aragon, « Chroniques de la pluie et du beau temps », Europe, 25e année, n° 16, avril 1947. Les mots en italique sont soulignés par les lettristes.
11. Cosigné par Serge Berna, Jean-Louis Brau, François Dufrêne, Marc-Gilbert Guillaumin [Marc,O.], Albert-Jules Legros, Maurice B. Lemaître, CP-Matricon et Gil J Wolman, ce manifeste d’Isou sur les conditions nécessaires à la naissance d’un mouvement littéraire véritable a paru en quatrième plat de couverture d’Ur, n° 1 ; la chute de la dernière phrase (« … et possède la chance de se projeter historiquement, reste dans l’Histoire. ») a été volontairement supprimée.
12. Tous ces noms figurent en couverture du premier et unique numéro de La Dictature lettriste, cahiers d’un nouveau régime artistique, « le seul mouvement d’avant-garde artistique contemporain » (juin 1946) — Charles Dobzynski apparaissant là sous le nom de Charles Dobre.
13. C’est sous ce titre énigmatique qu’un poème de Charles Dobre a paru dans La Dictature lettriste (p. 47).
14. Le 21 janvier 1946, au théâtre du Vieux-Colombier, Michel Leiris présente une lecture-spectacle de La Fuite, poème dramatique en quatre actes et un épilogue de Tristan Tzara : « À peine a-t-il dit que M. Tzara faisait parler les pierres qu’une voix dans la salle s’élève, véhémente : “Nous connaissons Tzara, parlez-nous plutôt, M. Leiris, du Lettrisme !” Brouhaha, sifflets, applaudissements. On entend crier : “Dada est mort ! Place au Lettrisme ! Le Lettrisme aux latrines !”, etc. M. Leiris termine, la voix couverte. C’est dommage, ce qu’il disait était très beau. » (Maurice Nadeau, « Les “lettristes” chahutent une lecture de Tzara au Vieux-Colombier », Combat, 22 janvier 1946.) Après la pièce, en plein tohu-bohu, sous les rires et les moqueries, Isou expose sur scène ses théories et lit un de ses poèmes (« Vagn bagadou kri kuss balala chimorabisssss »), lançant ainsi publiquement le mouvement lettriste.
15. Gabriel Marcel (1889-1973), dramaturge et philosophe existentialiste chrétien.
16. En 1950, Jean-Louis Brau et Gil J Wolman font partie du comité de rédaction (aux côtés de Maurice Lemaître, Lips et Gabriel Pomerand) du Front de la jeunesse, publication politique de quatre pages dont seul le premier numéro a paru (une nouvelle série de douze numéros paraîtra de novembre 1955 à septembre 1956). Ce périodique avait pour objectif de diffuser la théorie isouïenne du Soulèvement de la Jeunesse (définie comme masse non productrice, externe au circuit économique, luttant pour tout bouleverser) et portait en épigraphe cette phrase d’Isou : « Nous appelons Jeune, quel que soit son âge, tout individu qui ne coïncide pas encore avec sa fonction, qui s’agite et lutte pour atteindre la place d’agent désiré. »
17. Richard von Strigl (1891-1942), économiste libéral autrichien, professeur à l’université de Vienne, auteur d’une Introduction aux principes fondamentaux de l’économie politique (Einführung in die Grundlagen der Nationalökonomie, 1937) éditée en français en 1939 puis une seconde fois en 1948 ; destiné aux étudiants, l’ouvrage se conclut par cette phrase : « Dans une nation saine, la jeunesse ne peut être avec ceux qui voient leur intérêt dans le maintien de ce qui existe, mais seulement avec ceux auxquels appartient l’avenir. »
18. Avec Ghislain Desnoyers de Marbaix, Jean Rullier et Michel Mourre, vêtu en dominicain, Serge Berna a organisé le scandale de Notre-Dame où le 9 avril 1950 au cours de la grand-messe est proclamée en chaire la mort de Dieu ; il en avait rédigé le texte :
Aujourd’hui, jour de Pâques en l’Année sainte, ici, dans l’insigne basilique de Notre-Dame de Paris, j’accuse l’Église catholique universelle du détournement mortel de nos forces vives en faveur d’un ciel vide.
J’accuse l’Église catholique d’escroquerie.
J’accuse l’Église catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire, d’être le chancre de l’Occident décomposé.
En vérité je vous le dis : Dieu est mort.
Nous vomissons la fadeur agonisante de vos prières car vos prières ont grassement fumé les champs de bataille de notre Europe.
Allez dans le désert tragique et exaltant d’une terre où Dieu est mort et brassez à nouveau cette terre de vos mains nues, de vos mains d’orgueil, de vos mains sans prière.
Aujourd’hui, jour de Pâques en l’Année sainte, ici, dans l’insigne basilique de Notre-Dame de France, nous clamons la mort du Christ-Dieu pour qu’enfin vive l’Homme !
Pourchassé par des fidèles furieux, les auteurs du scandale sont arrêtés par la police, échappant par là au lynchage. Le lendemain, l’affaire connaît un grand retentissement dans la presse. Dans une lettre au rédacteur en chef Louis Pauwels (Combat, 12 avril 1950), André Breton prendra la défense des auteurs du scandale en fustigeant la manière dont Combat et la presse avaient commenté l’affaire.
19. Ce récit du scandale de l’orphelinat d’Auteuil est extrait du texte « Un nommé Berna Serge, né à… », publié par Berna dans la revue Ur, n° 1 (décembre 1950).
L’action menée contre les mauvais traitements infligés aux jeunes pensionnaires de l’orphelinat d’Auteuil — institution placée sous la triple tutelle du ministère de l’Intérieur, de l’archevêché de Paris et de la confgrégation du Saint-Esprit — déboucha sur une bagarre suivie de l’arrestation et l’emprisonnement de plusieurs membres du groupe lettriste.
Par la suite, en janvier 1953, Wolman appuiera le projet présenté par Debord d’une attaque de la maison de correction pour mineurs de Chevilly-Larue tenue par des religieuses mais ce projet sera finalement rejeté.
20. Les affiches du Tabou (33, rue Dauphine, Paris VIe) annonçaient la participation de Serge Berna, Jean-Louis Brau, Bu Bugajer, François Dufrêne, Ghislain [Desnoyers de Marbaix], Jean-Isidore Isou, Albert-Jules Legros, Maurice Lemaître, Matricon, Nonosse, Pac Pacco, Gabriel Pomerand et Gil J Wolman à quatre récitals lettristes (« la seule poésie-musique possible, l’univers des “bruites” »), les 14, 15, 21 et 22 octobre 1950. Il apparaît qu’en fait aucun de ces récitals n’a pu être donné en raison de la fermeture administrative du Tabou. Après les récitals au Royal Odéon (le 15 octobre), à la Rose Rouge (76, rue de Rennes, Paris VIe, le 18) et à la Maison des Lettres (rue Férou, Paris VIe, les 21, 22 et 23 octobre), une « Audition lettriste » fut organisée à nouveau à la Rose Rouge le 9 décembre avec Berna, Brau, Dufrêne, Isou, Legros, Lemaître, Pomerand et Wolman.
21. Film discrépant (disjonction du son et de l’image) et ciselant (pellicule lacérée), le Traité de bave et d’éternité de Jean-Isidore Isou est projeté le 20 avril 1951 en marge du IVe Festival international du film à Cannes avec le soutien de Jean Cocteau. Le film se divise en trois chapitres : dans le premier (« le principe »), on voit Isou sortir de la salle des Sociétés savantes (8, rue Danton, Paris VIe) à l’issue d’une séance de ciné-club. En déambulant dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, il se remémore en voix off son intervention face à un public houleux lors du débat après la projection ; dans le deuxième (« le développement ») et le troisième chapitre (« la preuve »), il met en pratique le manifeste cinématographique qu’il vient d’exposer au ciné-club : ciselure de l’image, primauté du son, indépendance des images et du son, alors qu’en voix off sont racontées ses aventures amoureuses, entrecoupées de chœurs et poèmes lettristes dont J’interroge et j’invective, poème à la mémoire d’Antonin Artaud, de François Dufrêne (septembre 1949).
À la projection cannoise, après le premier chapitre, les images des deux dernières parties n’étant pas encore montées, seule la bande sonore se déroulait : « Après quelques images de Saint-Germain-des-Prés où l’on voit nos lettristes se promener et affirmer qu’ils sont les nouveaux dieux de la littérature et de tous les arts, l’écran reste blanc, la lampe de la caméra s’éteint et ainsi que le dit Isou la porte s’ouvre, c’est-à-dire que plus aucune image n’est présentée au spectateur, tandis que les oreilles sont assourdies par un concert de vociférations, de cris, de discours. Des incidents marquèrent la fin de ces 5200 mètres de pellicule et Mlle Sonika Bo administra même, dit-on, une paire de claques à Isidore Isou. Les personnalités littéraires présentes semblaient un peu gênées et seul Malaparte resta impassible, ne paraissant pas très bien savoir ce qu’il fallait faire. » (Nice-Matin, 21 avril 1951.)
Après cette projection, le Traité de bave et d’éternité reçoit le prix des Spectateurs d’avant-garde 1951 ainsi que le prix En marge du Festival de Cannes attribué par un jury ad hoc composé de Cocteau, Curzio Malaparte, Raf Vallone…
Le soir de son montage définitif, le 23 mai 1951, il est projeté au ciné-club d’Avant-Garde du musée de l’Homme, dirigé par Armand Cauliez, puis il sort en salle au Studio de l’Étoile (14, rue Troyon, Paris XVIIe) le 25 janvier 1952 avec une affiche dessinée par Cocteau ; les lettristes distribuent alors le tract Le cinéma en crève.
22. Annoncée sous un titre approchant (Essai de psychologie tridimensionnelle) dans l’unique numéro de la revue lettriste ION (directeur : Marc-Gilbert Guillaumin, avril 1952), cette œuvre n’a pas été publiée ni semble-t-il conservée mais on en trouve trois évocations dans cette revue : « Les valeurs de la création se déplacent vers un conditionnement du spectateur, avec ce que j’ai nommé la psychologie tridimensionnelle » (Guy Debord, « Prolégomènes à tout cinéma futur ») ; « La psychologie tridimensionnelle ou le complexe architectural défini comme moyen de connaissance », phrase en voix off sur des vues extérieures du musée de Cluny dans le premier scénario du film Hurlements en faveur de Sade ; et « Guy-Ernest Debord “psychotridimensionalise” le musée Cluny, comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie » (Poucette, « Il nous arrive d’en parler… »).
23. Achevé le 25 septembre 1951, L’Anticoncept a pour seule image un rond blanc sur fond noir (« Tout ce qui est rond est Wolman »), soutenue par un monologue en bande sonore.
Gil J Wolman présente ainsi son film en février 1952 :
Résumé en guise d’introduction à L’Anticoncept.
Le scénario à L’Anticoncept n’étant pas « un » mais « muable par autant de réactions », l’auteur ne peut, à l’encontre des habituels résumés des récits que brièvement en développer le processus de percussions physiologiques.
La Voix ne brouette plus des vocables, mais chante parallèlement aux mots. Le mot percute et décongestionne l’imagination jusqu’alors au repos sur le concept. Le concept change de camp. Se retrouve sans aliénation chez le spectateur.
« C’est fini le temps des Poètes. »
Voici le jour des Acrobates.
GJW (AS 102)
Le 11 février, sa première projection sur ballon-sonde au ciné-club d’Avant-Garde du musée de l’Homme déclenche une bataille entre les lettristes et le public.
En avril 1952, le scénario du film est publié dans ION.
Le jugeant « non commercial », la commission de contrôle des films cinématographiques l’interdit le 2 avril 1952 — interdiction encore effective.
« L’Anticoncept est en vérité plus chargé d’explosifs pour l’intelligence que l’ennuyeux camion du Salaire de Clouzot ; plus offensif aujourd’hui que les images d’Eisenstein dont on a eu si longtemps peur en Europe. » (Guy Debord, « Totem et Tabou », Internationale lettriste n° 3, août 1953.)
En marge du Ve Festival international du film à Cannes (23 avril – 10 mai 1952), les lettristes projettent L’Anticoncept de Wolman « devant quelques journalistes, seule possibilité légale » et présentent La Barque de la vie courante de Jean-Louis Brau, ainsi que, le 4 mai, au cinéma Alexandre III, Tambours du jugement premier, film « imaginaire, sans écran ni pellicule » de François Dufrêne : « La salle “obscure” était plongée dans le noir, l’écran donc y compris. Seules, aux quatre coins, des lampes de poche éclairaient le texte des quatre “diseurs” : Wolman et Marc,O, chargés des “aphorismes” (parlés pour le premier, chantés pour le second), Debord lisant les images et moi déclamant les poèmes phonétiques. » (François Dufrêne, « Une action en marge », Archi-Made, ENSBA 2005.)
Décidés à s’opposer au festival de Cannes, les lettristes distribuent le tract Fini le cinéma français, recouvrent de slogans des affiches du festival (« Le cinéma est mort »), provoquent des bagarres et interrompent des projections : une dizaine de manifestants sont arrêtés.
24. Le premier scénario de Hurlements en faveur de Sade paru en avril 1952 dans ION comportait des images et s’acevait par un écran noir et « un court silence, puis des cris très violents dans le noir ». Face aux ambitions de carrière cinématographique affichées par certains lettristes et après l’interdiction de « l’admirable » Anticoncept, Guy Debord en radicalise le scénario jusqu’à supprmier totalement les images. « Il y a trois ans, c’était plutôt la carrière d’un Astruc que pouvaient envisager quelques lettristes qui avaient un peu fait parler d’eux dans les ciné-clubs. Il était notoire que certains n’y répugnaient pas. Il convenait donc d’y mettre obstacle par un éclat qui, en soulignant à l’extrême l’allure forcément dérisoire de toute expression lyrique personnelle aujourd’hui, pût servir à regrouper ceux qui envisageaient une action plus sérieuse. » (Guy Debord, « Grande fête de nuit », Les Lèvres nues n° 7, décembre 1955.)
Achevé le 17 juin 1952 et dédié à Gil J Wolman (dont on entend au début du film une de ses Improvisations mégapneumes), le film sans images Hurlements en faveur de Sade alterne des séquences d’écran blanc pendant de brefs dialogues et des séquences de silence et d’écran noir : « La bande sonore ne durait qu’une vingtaine de minutes, par à-coups, sur une heure et demie de projection. Les interruptions du son, toujours fort longues, laissaient l’écran et la salle absolument noirs. Les répliques étaient échangées par des voix assez inhabituelles et résolument monotones. L’emploi presque constant de coupures de presse, de textes juridiques, et de citations détournées de leur sens, rendait d’autant plus malaisée l’intelligence du dialogue. Le film de s’achevait pas. Après une allusion aux histoires incomplètes qu’il nous était donné de vivre — en usant de ce terme qui désignait les reconnaissances, dans les armées de la guerre de Trente Ans — en enfants perdus, une séquence noire de vingt-quatre minutes déroulait, devant la rage des friands de belles audaces, son apothéose décevante. » (Ibid.)
Sa première projection le 30 juin 1952 au ciné-club d’Avant-Garde du musée de l’Homme est interrompue presque immédiatement par le public et les dirigeants de ce ciné-club, non sans violences.
25. Bien qu’annoncé « en cours de réalisation » par le tract-affiche La Nuit du Cinéma (publié à l’occasion de la première projection intégrale de Hurlements en faveur de Sade, le 13 octobre 1952, dans la salle des Sociétés savantes, « défendue par le groupe des “lettristes de gauche” et une vingtaine de supplétifs de Saint-Germain-des-Prés »), Serge Berna ne réalisera pas Du léger rire qu’il y a autour de la mort.
Détenu quelque six mois au fort de Cormeilles-en-Parisis, alors utilisé comme prison, Serge Berna devait être libéré en mai 1953. En mars 1953, Guy Debord lui dédie son enregistrement magnétique Les Environs de Fresnes dans lequel, en avril 1952, tous deux « se promènent parmi les débris de l’ancienne poésie, en détraquent les mécanismes » et détournent des vers d’Apollinaire, Desnos, Éluard, Mallarmé et Michaux (avec des poèmes de Guillaume-Henri Michinaire et Paul-Henri Michuard) ainsi que des phrases ou épigraphes de Breton, Céline, Cravan et Gide (cf. Guy Debord, Enregistrements magnétiques, 1952-1961, Gallimard 2010).
Peu après sa sortie de prison, Serge Berna préface les manuscrits d’Antonin Artaud qu’il avait découverts en 1952 dans un grenier de la rue Visconti — Vie et mort de Satan le feu suivi de Textes mexicains pour un nouveau mythe, Éditions Arcanes, 10 juin 1953 : « J’ai pensé que je devais me débrouiller tout seul ; j’ai ouvert alors une souscription […] et au moment où ça allait marcher, il m’est arrivé un accident qui me fit garder la chambre pendant six mois pour ainsi dire sans sortir ; puis je trouvai un éditeur [Érik Losfeld] qui fut assez hardi pour publier. » « Suspect de déviation vers la littérature », il est exclu de l’Internationale lettriste pour « manque de rigueur intellectuelle ».
26. Avec quelques variantes, on retrouve ces considérations sur la mégapneumie dans « Introduction à Wolman », de Gil J Wolman, Ur n° 1 (décembre 1950).
27. Le 29 octobre 1952, à l’hôtel Ritz, Jean-Louis Brau et Gil J Wolman purent pénétrer dans la salle où Charles Chaplin tenait sa conférence de presse et y jeter le tract Finis les pieds plats — dont le sixième paragraphe, « Allez vous coucher, fasciste larvé, gagnez beaucoup d’argent, soyez mondain (très réussi votre plat ventre devant la petite Élisabeth), mourez vite, nous vous ferons des obsèques de première classe », et la dernière phrase, « Go home Mister Chaplin », ne sont pas cités ici ; alors qu’ils tentaient de s’introduire frauduleusement par les cuisines du Ritz, Serge Berna et Guy Debord furent arrêtés par des policiers qui les avaient pris pour des admirateurs.
Le 31 octobre, dans Paris-Presse l’Intransigeant, le critique Robert Chazal rendait compte de la conférence de presse à l’hôtel Ritz et précisait : « Il y eut aussi une note choquante : quelques jeunes voyous pseudo-littéraires lancèrent sur Chaplin une pluie de tracts qui l’appelaient : “Fasciste larvé… Sinistre vieillard… Stavisky des larmes des filles-mères…” et autres grossièretés. »
À quoi Jean-Louis Brau, Guy-Ernest Debord et Gil J Wolman, alors en Belgique pour une projection du Traité de bave et d’éternité, lui répondirent :
Feu Chazal,
Tu as été mal inspiré de nous insulter pour défendre la dernière super-production des Artistes Associés qui, comme chacun sait, te payent grassement.
Nous avons par hasard pris connaissance à Bruxelles de cette preuve écrite de ta connerie permanente et décidé de casser ce qui te tient lieu de gueule sitôt que nous serons rentrés en France.
Tu paieras pour les autres dont tu as porté à la plus faisandée perfection la lâcheté conformiste et l’admiration publicitaire.
Faux témoin, indicateur et probablement pédéraste, tu as assez bavé. Nous débarrasserons la presse française d’une de ses plus représentatives ordures.
À très bientôt.
28. Le 1er novembre 1952, Jean-Isidore Isou, Maurice Lemaître et Gabriel Pomerand désavouèrent publiquement le geste contre Chaplin dans les colonnes du journal Combat :
Les membres du mouvement lettriste se sont réunis sur la base de nouveaux principes de connaissance et chacun garde son indépendance quant aux détails d’application de ces principes. Nous savons tous que Chaplin a été « un grand créateur dans l’histoire du cinéma » mais « l’hystérie totale » et baroque qui a entouré son arrivée en France nous a gênés, comme l’expression de tout déséquilibre. Nous sommes honteux que le monde manque aujourd’hui de valeurs plus profondes que celles, secondaires, « idolâtres » de l’« artiste ». Les lettristes signataires du tract contre Chaplin sont, seuls, responsables du contenu outrancier et confus de leur manifeste. Comme rien n’a été résolu dans ce monde, Charlot reçoit, avec les applaudissements, les éclaboussures de cette non-résolution.
Nous, les lettristes qui, dès le début, étions opposés au tract de nos camarades, sourions devant l’expression maladroite que prend l’amertume de leur jeunesse.
Si Charlot devait recevoir de la boue, ce n’était pas à nous de la lui jeter. Il y en a d’autres, payés pour cela (l’attorney général par exemple).
Nous nous désolidarisons donc du tract de nos amis et nous nous associons à l’hommage rendu à Chaplin par toute la populace.
D’autres groupes lettristes s’expliqueront à leur tour sur cette affaire, dans leurs propres revues ou dans la presse.
Mais Charlot et tout cela ne forment qu’une simple nuance.
Le lendemain, les lettristes internationaux adressèrent de Bruxelles cette mise au point à Combat, qui refusa de la publier :
Position de l’Internationale lettriste
À la suite de notre intervention à la conférence de Presse tenue au Ritz par Chaplin, et de la reproduction partielle dans les journaux du tract intitulé Finis les pieds plats, qui se révoltait contre le culte que l’on rend communément à cet auteur, Jean-Isidore Isou et deux de ses suiveurs blanchis sous le harnais ont publié dans Combat une note désapprouvant notre action, en cette circonstance précise.
Nous avons apprécié en son temps l’importance de l’œuvre de Chaplin, mais nous savons qu’aujourd’hui la nouveauté est ailleurs et « les vérités qui n’amusent plus deviennent des mensonges » (Isou).
Nous croyons que l’exercice le plus urgent de la liberté est la destruction des idoles, surtout quand elles se recommandent de la liberté.
Le ton de provocation de notre tract réagissait contre l’enthousiasme unanime et servile. La distance que certains lettristes, et Isou lui-même, ont été amenés à prendre à ce propos ne trahit que l’incompréhension toujours recommencée entre les extrémistes et ceux qui ne le sont plus ; entre nous et ceux qui ont renoncé à l’« amertume de leur jeunesse » pour « sourire » avec les gloires établies ; entre les plus de vingt ans et les moins de trente ans.
Nous revendiquons seuls la responsabilité d’un texte que nous avons signé seuls. Nous n’avons, nous, à désavouer personne.
Les indignations diverses nous indiffèrent. Il n’y a pas de degrés parmi les réactionnaires.
Nous les abandonnons à toute cette foule anonyme et choquée.
Le 10 novembre, jour où Chaplin quittait Paris, on pouvait lire dans France-Soir : « “Charlot” emporte la médaille d’or du cent cinquantenaire de la Préfecture de police que lui a décerné hier après-midi M. Jean Beylot [le préfet de police], ainsi qu’un bâton blanc-breloque qu’il a suspendu à sa boutonnière. » Et le 20 novembre, dans Le Libertaire, organe de la Fédération anarchiste, sous la plume du surréaliste Jean-Louis Bédouin : « Nous stigmatisons le comportement de Chaplin qui, de son propre gré, alla remercier la police parisienne de l’“avoir si bien protégé” (de quoi ?) et qui accepta, avec la médaille d’or du cent cinquantenaire de la Préfecture et le souvenir d’une matraque-breloque, d’etre marqué d’infamie aux yeux de tous ceux qui avaient cru à l’expression révoltée de son œuvre et lui avaient voué, comme à nul autre grand artiste, leur affection. »
À la fin de ce même mois de novembre, les lettristes internationaux publient le premier numéro d’Internationale lettriste dans le quel sont rassemblés les documents de leur rupture avec Isidore Isou (avec un texte de Guy Debord, « Mort d’un commis voyageur », et la reproduction hors-texte d’une œuvre de Gil J Wolman, HHHHHH, « Un homme saoul en vaut deux »).
29. Un mois plus tard, le 7 décembre 1952, l’Internationale lettriste (fondée à Bruxelles en juin 1952 par Guy Debord et Gil J Wolman) tenait à Aubervilliers, où habitait Jean-Louis Brau, sa première (et seule) conférence et prit les résolutions suivantes :
1. Adoption du principe de la majorité. Dans le cas où une majorité ne saurait être acquise, reprise de la discussion sur des bases nouvelles pouvant amener la formation d’une majorité. Principe de l’utilisation des noms par la majorité.
2. Acquisition de la critique des arts et de certains de ses apports. C’est dans le dépassement des arts que la démarche reste à faire.
3. Interdiction à tout membre de l’Internationale lettriste de soutenir une morale régressive jusqu’à l’élaboration de critères précis.
4. Circonspection extrême dans la présentation d’œuvres personnelles pouvant engager l’I.L. — Exclusion ipso facto pour tout acte de collaboration à des activités isouïennes fût-ce pour la défense de l’I.L. — Exclusion de quiconque publiant sous son nom une œuvre commerciale.
Pour solde de tout compte.
Signé : Jean-Louis Brau, Serge Berna, Guy-Ernest Debord, Gil J Wolman.
Ce document final fut déchiré, introduit dans une bouteille et jeté dans le canal Saint-Denis ; le lendemain, Jean-Louis Brau le repêchait.
30. Rédigé le 19 février 1953, le Manifeste de l’Internationale lettriste a paru dans le numéro 2 d’Internationale lettriste.
31. Les trois voix prévues pour l’enregistrement de Visages de l’avant-garde devaient déclamer en chœur cette dernière phrase de rupture avec le lettrisme isouïen.
Deux ans et demi plus tard et bien après l’exlusion de Jean-Louis Brau à l’autome 1953, Guy Debord et Gil J Wolman reviendront sur les raisons et les enjeux de leur participation au mouvement lettriste entre 1950 et 1952 dans « Pourquoi le lettrisme ? » (Potlatch, bulletin mensuel d’information de l’Internationale lettriste n° 22, 9 septembre 1955). Nous en extrayons ces lignes, miroir critique de Visages de l’avant-garde :
Après l’incomplète libération de 1944, la réaction intellectuelle et artistique se déchaîne partout : la peinture abstraite, simple moment d’une évolution picturale moderne où elle n’occupe qu’une place assez ingrate, est présentée par tous les moyens publicitaires comme le fondement d’une nouvelle esthétique. L’alexandrin est voué à une renaissance prolétarienne dont le prolétariat se serait passé comme forme culturelle avec autant d’aisance qu’il se passera du quadrige ou de la trirème comme moyens de transport. Des sous-produits de l’écriture qui a fait scandale, et que l’on n’avait pas lue, vingt ans auparavant, obtiennent une admiration éphémère mais retentissante : poésie de Prévert ou de Char, prose de Gracq, théâtre de l’atroce crétin Pichette, tous les autres. Le Cinéma où les divers procédés de mise en scène anecdotique sont usés jusqu’à la corde, acclame son avenir dans le plagiaire De Sica, trouve du nouveau — de l’exotisme plutôt — dans quelques films italiens où la misère a imposé un style de tournage un peu différent des habitudes hollywoodiennes, mais si loin après S. M. Eisenstein. On sait, de plus, à quels laborieux remaniements phénoménologiques se livrent des professeurs qui, par ailleurs, ne dansent pas dans des caves.
Devant cette foire morne et rentable, où chaque redite avait ses disciples, chaque régression ses admirateurs, chaque remake ses fanatiques, un seul groupe manifestait une opposition universelle et un complet mépris, au nom du dépassement historiquement obligé de ces anciennes valeurs. Une sorte d’optimisme de l’invention y tenait lieu de refus, et d’affirmation au delà de ces refus. Il fallait lui reconnaître, malgré des intentions très différentes, le rôle salutaire que Dada assuma dans une autre époque.
On nous dira peut-être que recommencer un dadaïsme n’était pas une entreprise très intelligente. Mais il ne s’agissait pas de refaire un dadaïsme. […]
Les provocations insupportables que le groupe lettriste avait lancées, ou préparait (poésie réduite aux lettres, récit métagraphique, cinéma sans images), déchaînaient une inflation mortelle dans les arts.
Nous l’avons rejoint alors sans hésitation.
Le groupe lettriste vers 1950, tout en exerçant une louable intolérance à l’extérieur, admettait parmi ses membres une assez grande confusion d’idées.
La poésie onomatopéique elle-même, apparue avec le futurisme et parvenue plus tard à une certaine perfection avec Schwitters et quelques autres, n’avait plus d’intérêt que par la systématisation absolue qui la présentait comme la seule poésie du moment, condamnant ainsi à mort toutes les autres formes, et elle-même à brève échéance. Cependant la conscience de la vraie place où il nous était donné de jouer était négligée par beaucoup au profit d’une conception enfantine du génie et de la renommée.
La tendance alors majoritaire accordait à la création de formes nouvelles la valeur la plus haute parmi toutes les activités humaines. Cette croyance à une évolution formelle n’ayant de causes ni de fins qu’en elle-même, est le fondement de la position idéaliste bourgeoise dans les arts. (Leur croyance imbécile en des catégories conceptuelles immuables devait justement conduire quelques exclus du groupe a un mysticisme américanisé.) […]
De cette opposition fondamentale, qui est en définitive le conflit d’une manière assez nouvelle de conduire sa vie contre une habitude ancienne de l’aliéner, procédaient des antagonismes de toutes sortes, provisoirement aplanis en vue d’une action générale qui fut divertissante et que, malgré ses maladresses et ses insuffisances, nous tenons encore aujourd’hui pour positive.
Certaines équivoques aussi étaient entretenues par l’humour que quelques-uns mettaient, et que d’autres ne mettaient pas, dans des affirmations choisies pour leur aspect stupéfiant : quoique parfaitement indifférents à toute survie nominale par une renommée littéraire ou autre, nous écrivions que nos œuvres — pratiquement inexistantes — resteraient dans l’histoire, avec autant d’assurance que les quelques histrions de la bande qui se voulaient « éternels ». Tous, nous affirmions en toute occasion que nous étions très beaux. La bassesse des argumentations que l’on nous présentait, dans les ciné-clubs et partout, ne nous laissait pas l’occasion de répondre plus sérieusement. D’ailleurs, nous continuons d’avoir bien du charme.
La crise du lettrisme, annoncée par l’opposition quasi ouverte des attardés à des essais cinématographiques qu’ils jugeaient de nature à les discréditer par une violence « inhabile », éclata en 1952 quand l’« Internationale lettriste », qui groupait la fraction extrême du mouvement autour d’une ombre de revue de ce titre, jeta des tracts injurieux à une conférence de presse tenue par Chaplin. Les lettristes-esthètes, depuis peu minoritaires, se désolidarisèrent après coup — entraînant une rupture que leurs naïves excuses ne réussirent pas à différer, ni à réparer dans la suite — parce que la part de création apportée par Chaplin dans le Cinéma le rendait, à leur sens, inattaquable. Le reste de l’opinion « révolutionnaire » nous réprouva encore plus, sur le moment, parce que l’œuvre et la personne de Chaplin lui paraissaient devoir rester dans une perspective progressiste. Depuis, bien des gens sont revenus de cette illusion.
Dénoncer le vieillissement des doctrines ou des hommes qui y ont attaché leur nom, c’est un travail urgent et facile pour quiconque a gardé le goût de résoudre les questions les plus attirantes posées de nos jours. Quant aux impostures de la génération perdue qui s’est manifestée entre la dernière guerre et aujourd’hui, elles étaient condamnées à se dégonfler d’elles-mêmes. Toutefois, étant connue la carence de la pensée critique que ces truquages ont trouvée devant eux, on peut estimer que le lettrisme a contribué à leur plus rapide effacement ; et qu’il n’est pas étranger à ce fait qu’à présent un Ionesco, refaisant trente ans plus tard en vingt fois plus bête quelques outrances scéniques de Tzara, ne rencontre pas le quart de l’attention détournée il y a quelques années vers le cadavre surfait d’Antonin Artaud.
Les mots qui nous désignent, à cette époque du monde, tendent fâcheusement à nous limiter. Sans doute, le terme de « lettristes » définit assez mal des gens qui n’accordent aucune estime particulière à cette sorte de bruitage, et qui, sauf sur les bandes sonores de quelques films, n’en font pas usage. […]
Ainsi, bon nombre de termes furent gardés, malgré l’évolution de nos recherches et l’usure — entraînant l’épuration — de plusieurs vagues de suiveurs : Internationale lettriste, métagraphie et autres néologismes dont nous avons remarqué qu’ils excitaient d’emblée la fureur de toutes sortes de gens. Ces gens-là, la condition première de notre accord reste de les tenir éloignés de nous.