Lettre à Jonathan Horelick et Tony Verlaan (29 novembre 1970)

 

Paris, le 29 novembre 1970.

Camarades,

Ce que nous voulons faire maintenant, pour continuer la théorie situationniste et sa pratique, nous apparaît extrêmement éloigné des préoccupations exprimées par votre long document du 16 novembre.

D’après vos documents précédents, nous avions qualifié votre position comme étant futile. Nous maintenons cette appréciation au vu de votre plus récente production extensive de la même futilité : quand vous écrivez plus longuement, vous n’en êtes pas moins futiles. Au contraire !

Quelquefois même, vous avez dépassé la futilité : vous êtes allez jusqu’à écrire littéralement n’importe quoi ; et on peut se demander dans quel but. Le 21 septembre, vous nous avez écrit que la rédaction du n° 2 de votre revue, et tout autre projet, seraient suspendus jusqu’aux mises au point que vous réclamiez sur notre activité commune. Le 22 septembre, en contradiction scandaleuse avec votre résolution de la veille, vous nous avez demandé quels étaient les projets que nous avions nous, en Europe « qui motivent la répartition des fonds dont l’I.S. dispose ». Le 6 octobre, vous nous avez annoncé votre projet de réaliser six publications, « ceci dans les douze prochains mois », avec l’annonce d’un « prochain numéro à la mi-novembre », sans compter des projets annexes dans le cinéma, le rock’n roll, etc. Vous n’avez même pas fait mine de tenter de nous expliquer d’aussi comiques revirements.

Nous constatons que vous persistez dans votre exigence de recommencer des discussions pour un regroupement éventuel, avec précisément Beaulieu et Rothe. Vous marquez ainsi votre mépris de tous les problèmes réels de l’activité de l’I.S. en associant, par une simple interprétation formaliste (très peu rigoureuse d’ailleurs) des règles de rupture, deux individus qui ne peuvent aucunement être comparés. Eduardo Rothe, quoique son erreur soit indiscutable et ait été reconnue par tous, lui compris, est un des plus estimables camarades qui aient participé à l’I.S. ; Beaulieu a été le plus con, le plus sordide, et un des pires truqueurs — qui a été fort habile de démissionner au premier instant où il était critiqué, c’est-à-dire une heure environ avant d’être ignominieusement exclu pour avoir dissimulé et falsifié la correspondance de l’I.S. avec l’Espagne. Cependant, nous qui considérons cette différence réelle que vous voulez oublier, et pour des raisons méthodologiques tout autres, nous n’acceptons plus de discuter d’un regroupement avec aucun des deux, comme vous le saviez fort bien. Cette incompatibilité précise entre nos décisions impliquerait déjà une scission.

Par ailleurs, à propos de cette vérité que « trop peu de fautes ont été considérées comme inacceptables », vous n’envisagez aucunement la critique profonde qu’elle appelle, et que nous avons commencé à formuler ici peu après. En disant que Debord n’a pas été assez sévère pour quelques erreurs superficielles, de la période précédente, vous insinuez tout simplement, sans droit, sans raison, six mois plus tard et avec une inconscience transocéanique que nous, ici, nous aurions dû exclure plusieurs camarades, notamment Riesel, Sébastiani, et peut-être Sanguinetti. Nous trouvons que la plaisanterie a bien assez duré. Au-delà de ces vétilles, il y a un point fondamental qui nous oppose. Nous considérons votre activité et votre existence, dans la théorie, la pratique réelle, etc. — bref tout ce qui est censé justifier les relations avec vous, et une action commune organisée – et, nous trouvons que c’est vraiment très peu. Sur l’autre plateau de la balance, nous voyons un amoncellement de chicanes, d’aigreurs, d’exigences injustifiées, c’est-à-dire une pseudo-participation à grande distance, et très peu qualifiée, aux problèmes que nous vivons ici. Vous qui avez tant parlé de l’autonomie des sections, vous êtes trop absents en Amérique, et trop présents ici par correspondance ; seul terrain apparent de votre « pratique » ; incohérente au demeurant. Une telle « action commune », inversement proportionnelle à l’importance de tous les sujets, ne nous paraît vraiment pas intéressante.

En conclusion donc, nous constatons dès maintenant que la scission est faite. Désormais votre activité situationniste autonome pourra, sous votre seule responsabilité, rechercher le dialogue qui vous conviendra avec Beaulieu, ou Chevalier, ou toute autre personne avec laquelle nous n’avons plus voulu garder de contact. Nous vous proposons de continuer l’échange de nos diverses publications et naturellement de tous textes diffusés publiquement sur notre scission et les polémiques qui pourront s’ensuivre. Mais nous ne sommes plus intéressés par une correspondance « interne » dont la base organisationnelle n’existe plus.

Salutations révolutionnaires,

Guy Debord, René Riesel, Gianfranco Sanguinetti, René Viénet

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