Internationale lettriste n° 1 – novembre 1952
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Cinéaste sous-Mack Sennett, acteur sous-Max Linder, Stavisky des larmes des filles-mères abandonnées et des petits orphelins d’Auteuil, vous êtes, Chaplin, l’escroc aux sentiments, le maître chanteur de la souffrance.
Il fallait au Cinématographe ses Delly. Vous lui avez donné vos œuvres et vos bonnes œuvres.
Parce que vous disiez être le faible et l’opprimé, s’attaquer à vous c’était attaquer le faible et l’opprimé, mais derrière votre baguette de jonc, certains sentaient déjà la matraque du flic.
Vous êtes « celui-qui-tend-l’autre-joue-et-l’autre-fesse » mais nous qui sommes jeunes et beaux, répondons Révolution lorsqu’on nous dit souffrance.
Max du Veuzit aux pieds plats, nous ne croyons pas aux « persécutions absurdes » dont vous seriez victime. En français Service d’Immigration se dit Agence de Publicité. Une conférence de Presse comme celle que vous avez tenue à Cherbourg pourrait lancer n’importe quel navet. Ne craignez donc rien pour le succès de Limelight.
Allez vous coucher, fasciste larvé, gagnez beaucoup d’argent, soyez mondain (très réussi votre plat ventre devant la petite Élisabeth), mourez vite, nous vous ferons des obsèques de première classe.
Que votre dernier film soit vraiment le dernier.
Les feux de la rampe ont fait fondre le fard du soi-disant mime génial et l’on ne voit plus qu’un vieillard sinistre et intéressé.
Go home Mister Chaplin.
L’Internationale lettriste : Serge Berna, Jean-L. Brau, Guy-Ernest Debord, Gil J Wolman
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Les lettristes désavouent les insulteurs de Chaplin
Les membres du mouvement lettriste se sont réunis sur la base de nouveaux principes de connaissance et chacun garde son indépendance quant aux détails d’application de ces principes. Nous savons tous que Chaplin a été « un grand créateur dans l’histoire du cinéma » mais « l’hystérie totale » et baroque qui a entouré son arrivée en France nous a gênés, comme l’expression de tout déséquilibre. Nous sommes honteux que le monde manque aujourd’hui de valeurs plus profondes que celles, secondaires, « idolâtres » de l’« artiste ». Les lettristes signataires du tract contre Chaplin sont, seuls, responsables du contenu outrancier et confus de leur manifeste. Comme rien n’a été résolu dans ce monde, Charlot reçoit, avec les applaudissements, les éclaboussures de cette non-résolution.
Nous, les lettristes qui, dès le début, étions opposés au tract de nos camarades, sourions devant l’expression maladroite que prend l’amertume de leur jeunesse.
Si Charlot devait recevoir de la boue, ce n’était pas à nous de la lui jeter. Il y en a d’autres, payés pour cela (l’attorney général par exemple).
Nous nous désolidarisons donc du tract de nos amis et nous nous associons à l’hommage rendu à Chaplin par toute la populace.
D’autres groupes lettristes s’expliqueront à leur tour sur cette affaire, dans leurs propres revues ou dans la presse.
Mais Charlot et tout cela ne forment qu’une simple nuance.
Jean-Isidore Isou, Maurice Lemaître, Gabriel Pomerand
Publié dans Combat le 1-11-52.
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Position de l’Internationale lettriste
Texte refusé par le journal Combat le 2 novembre 1952 en infraction avec les termes de l’article 13 de la loi du 29-7-1881.
À la suite de notre intervention à la conférence de Presse tenue au Ritz par Chaplin, et de la reproduction partielle dans les journaux du tract intitulé Finis les pieds plats, qui se révoltait contre le culte que l’on rend communément à cet auteur, Jean-Isidore Isou et deux de ses suiveurs blanchis sous le harnais ont publié dans Combat une note désapprouvant notre action, en cette circonstance précise.
Nous avons apprécié en son temps l’importance de l’œuvre de Chaplin, mais nous savons qu’aujourd’hui la nouveauté est ailleurs et « les vérités qui n’amusent plus deviennent des mensonges » (Isou).
Nous croyons que l’exercice le plus urgent de la liberté est la destruction des idoles, surtout quand elles se recommandent de la liberté.
Le ton de provocation de notre tract réagissait contre l’enthousiasme unanime et servile. La distance que certains lettristes, et Isou lui-même, ont été amenés à prendre à ce propos ne trahit que l’incompréhension toujours recommencée entre les extrémistes et ceux qui ne le sont plus ; entre nous et ceux qui ont renoncé à l’« amertume de leur jeunesse » pour « sourire » avec les gloires établies ; entre les plus de vingt ans et les moins de trente ans.
Nous revendiquons seuls la responsabilité d’un texte que nous avons signé seuls. Nous n’avons, nous, à désavouer personne.
Les indignations diverses nous indiffèrent. Il n’y a pas de degrés parmi les réactionnaires.
Nous les abandonnons à toute cette foule anonyme et choquée.
Serge Berna, Jean-L. Brau, Guy-Ernest Debord, Gil J Wolman
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Lettre ouverte à Jean-Isidore Isou
Bruxelles, le 3-11-52
Notre manifestation n’a eu de confuse que votre attitude ridiculement pragmatique.
Allié à vous, comme vous le dites, sur la base de nouveaux principes de connaissances, je déplore la mesquinerie et la puérile lâcheté qui vous caractérise.
La nullité de votre personnage social était compensée par l’Œuvre, mais votre route discrète vers un mysticisme initiatique et l’imbécillité profonde de certains de vos disciples a une odeur nauséabonde qui m’écœure.
Si vous portez encore en vous un message, je saurais l’entendre. Car votre présence n’est pas nécessaire…
Ainsi veuillez me rayer du nombre de vos amis.
Sentiments choisis.
Jean-L. Brau
P.-S. : Dans votre lettre à Combat, vous dites avoir été « dès le début opposé à notre acte ». Que signifient alors vos félicitations orales une heure à peine après le lancer de tracts ?
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Isou passe la ligne
« C’est une chose que de vivre jeune dans un âge situé hors de la jeunesse physiologique ; c’en est une autre que de se maintenir en état de jeunesse dans cette situation paradoxale. »
Docteur René Wibaux, Président du Centre d’Études et de recherches Gérontologiques.
Mort d’un commis voyageur
Au cours de la tournée de conférences qu’il fit en Europe pour placer Limelight M. Chaplin a été insulté par nous à l’hôtel Ritz, et dénoncé en tant que commerçant et policier.
Le vieillissement de cet homme, son indécente obstination à étaler sur nos écrans sa gueule périmée, et la pauvre affection de ce monde pauvre qui se reconnaissait en lui, me semblent des raisons bien suffisantes pour cette interruption.
Cependant Jean-Isidore Isou, effrayé par les réactions des admirateurs de Chaplin — sauf les lettristes, tous les Français étaient admirateurs de Chaplin — publia un désaveu en termes inacceptables.
Nous étions alors à l’étranger. À notre retour, les explications qu’il nous en donna, et ses efforts maladroits pour minimiser toute l’affaire, ne nous parurent pas recevables et dans les jours qui suivirent nous devions l’avertir qu’une action commune serait désormais impossible.
Nous nous passionnons si peu pour les littérateurs et leurs tactiques que l’incident est presque oublié ; que c’est vraiment comme si Jean-Isidore Isou ne nous avait rien été ; comme s’il n’y avait jamais eu ses mensonges et son reniement.
Guy-Ernest Debord