La Valeur éducative (décembre 1954)

 

« Nous venons d’achever un premier essai de propagande radiophonique, intitulé La Valeur éducative. Cette émission, d’un style inusité, est à la disposition de toute chaîne qui pourrait en prendre le risque. »

« L’offre et la demande », Potlatch n° 15, 22 décembre 1954.

 

Nous commençons aujourd’hui la publication en feuilleton de l’émission radiophonique dont nous avons signalé en décembre l’existence. Le texte de La Valeur éducative est présenté ici sans mention des tons et des bruitages qui ne peuvent passer sur les ondes, précisément à cause des paroles qui suivent.

La Valeur éducative

voix 1 : Parlons de la pluie et du beau temps, mais ne croyons pas que ce sont là des futilités ; car notre existence dépend du temps qu’il fait.

voix 2 (jeune fille) : Tamar prit les gâteaux qu’elle avait faits et les apporta à Amnon, son frère, dans la chambre. Elle les lui offrit pour qu’il les mangeât ; mais il se saisit d’elle, et lui dit : « Viens dormir avec moi, ma sœur. » Elle lui répondit : « Non, mon frère, ne me fais pas violence ; ce n’est pas ainsi qu’on agit en Israël. Ne commets pas cette infamie ! Où irais-je, moi, porter ma honte ? Et toi, tu serais couvert d’opprobre en Israël. Parle plutôt au roi, je te prie ; il ne t’empêchera pas de m’avoir pour femme. » Mais il ne voulut point l’écouter, et il fut plus fort qu’elle ; il lui fit violence et il abusa d’elle.

voix 3 : Sur quoi donc repose la famille actuelle, la famille bourgeoise ? Sur le capital, sur l’enrichissement privé. Elle n’existe en son plein développement que pour la bourgeoisie. Mais elle a pour corollaire la disparition totale de la famille parmi les prolétaires, et la prostitution publique.
La famille des bourgeois disparaîtra, cela va sans dire, avec le corollaire qui la complète ; et tous deux disparaîtront avec le capital.

voix 1 : Bernard, Bernard, cette verte jeunesse ne durera pas toujours. Cette heure fatale viendra, qui tranchera toutes les espérances trompeuses par une inexorable sentence. La vie nous manquera comme un faux ami au milieu de toutes nos entreprises. Les riches de cette terre qui jouissent d’une vie agréable, s’imaginent avoir de grands biens, seront tout étonnés de se trouver les mains vides.

voix 4 : Mais ce qui, surtout, contribuera à fortifier le climat de confiance auquel la population d’Algérie aspire, c’est la nouvelle que les opérations de police se sont déroulées avec succès, et qu’elles se soldent par 130 arrestations opérées, notamment à Khenchela : 36 terroristes ou meneurs appréhendés, soit la plus grosse partie du commando de la nuit tragique. À Cassaigne : 12 arrestations. Il est particulièrement réconfortant, au demeurant, de souligner, en ce qui concerne ce dernier centre que, sur les douze individus arrêtés, quatre ont été livrés par les fellahs de la région eux-mêmes, qui ont tenu à prendre part aux investigations, pour livrer les coupables à la justice.

voix 2 (jeune fille) : Les placides bovins seraient à la merci des carnivores, s’ils n’avaient leur paire de cornes pour se défendre. Dans l’aquarium voisin, nous voyons d’étranges poissons dont les yeux s’agrandissent démesurément.

voix 4 : D’ailleurs, des renforts — parachutistes, gendarmes, C.R.S., aviation — continuent d’être répartis aux points névralgiques, prêts à participer aux opérations d’assainissement dont M. Jacques Chevallier, secrétaire d’État à la Guerre, a dit hier qu’elles pourraient demander beaucoup de temps et d’hommes.

voix 2 (jeune fille) : Hélas ! Chacun, en Grande-Bretagne, sait que la princesse — pour des raisons d’État — ne peut s’habiller chez les couturiers français. Voici cinq ans, elle acheta plusieurs robes chez Dior. Cela provoqua un véritable scandale.

voix 1 : De quelque illusion, de quelques conventions que la royauté s’enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer ; elle est un de ces attentats que l’aveuglement même de tout un peuple ne saurait justifier.

voix 4 : Aucun profit matériel n’attirait les hommes dans les régions polaires, mais seulement le désir désintéressé de connaître toute la terre. À force d’énergie, ils ont atteint les deux pôles.

voix 3 : Il ne restait plus qu’à étudier l’intérieur des continents dont on connaissait les contours.

voix 1 : Les fruits, les fleurs poussent à profusion, et au milieu de cette nature splendide les indigènes se laissent vivre nonchalamment.

voix 4 : Les fellaghas ? Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? — Des cadres tunisiens ? On l’a dit… Et tripolitains ? Mais qu’ils bénéficient maintenant du recrutement local, ce n’est pas douteux. La plupart portent un semblant d’uniforme kaki.

voix 1 : Ils aiment les jeux, les chants, la danse, et reçoivent les étrangers avec une hospitalité généreuse. Mais ils sont aussi de hardis, de remarquables navigateurs.

voix 3 : Nous avons la situation bien en main, affirme le gouverneur général. On ne peut point régner innocemment.

voix 4 : Le relief, le climat, les fleuves que nous avons étudiés jusqu’ici forment le cadre dans lequel vivent les êtres animés, les plantes, les bêtes, les hommes. Chaque espèce vivante s’adapte aux conditions naturelles. Mais souvent l’homme, l’être le plus actif et le plus destructeur, a modifié ces conditions et créé des paysages nouveaux.

voix 1 : Les drapeaux rouges, frappés de l’étoile d’Ho Chi Minh, ont longuement flotté sur la ville. Les nouveaux maîtres n’oublièrent pas d’en décorer la cathédrale.

voix 4 : Ainsi, la civilisation et les modes de vie modernes pénètrent jusqu’aux extrêmes limites des terres habitables.

voix 3 : Autour du pôle Sud s’étend un continent montagneux.

voix 2 (jeune fille) : Même quand je marcherais dans la vallée de l’ombre de la mort je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi.

voix 1 : Les explorateurs ont pour ennemis le froid, le vent, l’obscurité, l’isolement.
C’est une véritable aventure qu’un départ vers ces régions. Même aujourd’hui, aidés par la T.S.F. et l’avion, les explorateurs se perdent.
Ils savent se guider d’après les étoiles, la houle, le vent. Ils ont des cartes marines faites de baguettes de bambou, indiquant les îles et les courants.

voix 2 (jeune fille) : Je me souviens de l’amour que tu me portais au temps de ta jeunesse, au temps de tes fiançailles, quand tu me suivais au désert, sur une terre inculte… Et je t’ai fait entrer dans un pays semblable à un verger pour en manger les fruits et jouir de ses biens.

voix 1 : Ceux qui font des révolutions dans le monde, ceux qui veulent faire le bien, ne doivent dormir que dans le tombeau.

voix 3 : Les hommes construisent leurs maisons en vue de l’usage qu’ils veulent en faire. La même maison ne convient pas à toutes les occupations, à tous les genres de vie.
Tout ce qui n’est pas nouveau dans un temps d’innovation est pernicieux.

voix 1 : L’histoire des idées que prouve-t-elle, sinon que la production intellectuelle se métamorphose avec la production matérielle ?
Les idées dominantes d’un temps n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. On parle d’idées qui révolutionnent la société tout entière. On ne fait ainsi que formuler un fait, à savoir que les éléments d’une société nouvelle se sont formés dans la société ancienne ; que la dissolution des idées anciennes va de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence.

voix 2 (jeune fille) : De nos jours on travaille surtout dans de grandes usines où les machines permettent de fabriquer d’innombrables objets. L’ouvrier surveille et règle les machines ; il se cantonne dans un travail uniforme et strictement défini. La mise en marche de telles usines exige des capitaux énormes, une force motrice et une main-d’œuvre abondante, et la proximité de voies de communication commodes.

Guy-Ernest Debord

Toutes les phrases de cette émission radiophonique ont été détournées de :
Bossuet. Panégyrique de Bernard de Clairvaux.
Demangeon et Meynier. Géographie générale. Classe de sixième.
France-soir, du 5 novembre 1954.
Livres de Jérémie, des Psaumes, de Samuel.
Marx et Engels. Manifeste communiste.
Saint-Just. Rapports et Discours à la Convention

Le texte paraît en trois livraisons dans les numéros 16, 17 et 18 de Potlatch. Nous le reproduisons précédé de la note qui l’accompagne dans le numéro 16.

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