Internationale lettriste n° 2 – février 1953
Manifeste
La provocation lettriste sert toujours à passer le temps. La pensée révolutionnaire n’est pas ailleurs. Nous poursuivons notre petit tapage dans l’au-delà restreint de la littérature, et faute de mieux. C’est naturellement pour nous manifester que nous écrivons des manifestes. La désinvolture est une bien belle chose. Mais nos désirs étaient périssables et décevants. La jeunesse est systématique, comme on dit. Les semaines se propagent en ligne droite. Nos rencontres sont au hasard et nos contacts précaires s’égarent derrière la défense fragile des mots. La Terre tourne comme si de rien n’était. Pour tout dire, la condition humaine ne nous plaît pas. Nous avons congédié Isou qui croyait à l’utilité de laisser des traces. Tout ce qui maintient quelque chose contribue au travail de la police. Car nous savons que toutes les idées ou les conduites qui existent déjà sont insuffisantes. La société actuelle se divise donc seulement en lettristes et en indicateurs, dont André Breton est le plus notoire. Il n’y a pas de nihilistes, il n’y a que des impuissants. Presque tout nous est interdit. Le détournement de mineures et l’usage des stupéfiants sont poursuivis comme, plus généralement, tous nos gestes pour dépasser le vide. Plusieurs de nos camarades sont en prison pour vol. Nous nous élevons contre les peines infligées à des personnes qui ont pris conscience qu’il ne fallait absolument pas travailler. Nous refusons la discussion. Les rapports humains doivent avoir la passion pour fondement, sinon la Terreur.
Sarah Abouaf, Serge Berna, P.-J. Berlé, Jean-L. Brau, [René] Leibé, Midhou Dahou, Guy-Ernest Debord, Linda [Fried], Françoise Lejare, Jean-Michel Mension, Éliane Pápaï, Gil J Wolman
Manifeste écrit le 19 février 1953.
Notice pour la Fédération française des ciné-clubs
Éclaircissements sur le film Hurlements en faveur de Sade
Le spectacle est permanent. L’importance de l’esthétique fait encore, après boire, un assez beau sujet de plaisanteries. Nous sommes sortis du cinéma. Le scandale n’est que trop légitime. Jamais je ne donnerai d’explications. Maintenant tu es toute seule avec nos secrets. À L’ORIGINE D’UNE BEAUTÉ NOUVELLE et plus tard dans le grand désert liquide et borné de l’allée des Cygnes (tous les arts sont des jeux médiocres et qui ne changent rien) son visage était découvert pour la première fois de cette enfance qu’elle appelait sa vie. Les conditions spécifiques du cinéma permettaient d’interrompre l’anecdote par des masses de silence vide. Tous les parfums de l’Arabie. L’aube de Villennes. À L’ORIGINE D’UNE BEAUTÉ NOUVELLE. Mais il n’en sera plus question. Tout cela n’était pas vraiment intéressant. Il s’agit de se perdre.
Guy-Ernest Debord
Notice écrite en novembre 1952.
Liberté PROVISOIRE
Bien sûr la nuit tu rêves si tu pouvais toujours dormir mais la vie menace à chaque angle il y a des flics et des indics dans les bistros les filles de ton âge sont marquées par la jeunesse.
Gil J Wolman
Extraits de la presse à propos de l’affaire Chaplin
« Les feux de la rampe ont fait fondre le fard du soi-disant mime génial et l’on ne voit plus qu’un vieillard sinistre et intéressé. » (Finis les pieds plats, 29/10/52. Tract lancé par l’Internationale lettriste à la réception de Chaplin à Paris.)
« Les lettristes signataires du tract contre Chaplin sont seuls responsables du contenu outrancier et confus. » (Jean-Isidore Isou, Combat, 1/11/52.)
« Nous croyons que l’exercice le plus urgent de la liberté est la destruction des idoles, surtout quand elles se recommandent de la liberté… Les indignations diverses nous indiffèrent. Il n’y a pas de degrés parmi les réactionnaires. Nous les abandonnons à toute cette foule anonyme et choquée. » (« Position de l’Internationale lettriste », Combat, 2/11/52.)
« Nous nous passionnons si peu pour les littérateurs et leurs tactiques que l’incident est presque oublié ; que c’est vraiment comme si Jean-Isidore Isou ne nous avait rien été… » (Guy-Ernest Debord, « Mort d’un commis voyageur », Internationale lettriste, n° 1.)
« “Charlot” emporte la médaille d’or du cent cinquantenaire de la Préfecture de Police que lui a décerné hier après-midi M. Jean Baylot, ainsi qu’un bâton blanc-breloque qu’il a suspendu à sa boutonnière. » (« Charlie Chaplin quitte Paris », France-Soir, 10/11/52.)
Grève générale
Il n’y a aucun rapport entre moi et les autres. Le monde commence le 24 septembre 1934. J’ai dix-huit ans, le bel âge des maisons de correction et le sadisme a enfin remplacé Dieu. La beauté de l’homme est dans sa destruction. Je suis un rêve qui aimerait son rêveur. Tout acte est lâcheté parce que justification. Je n’ai jamais rien fait. Le néant perpétuellement cherché, ce n’est que notre vie. Descartes a autant de valeur qu’un jardinier. Il n’y a qu’un mouvement possible : que je sois la peste et décerne les bubons. Tous les moyens sont bons pour s’oublier : suicide, peine de mort, drogue, alcoolisme, folie. Mais il faudrait aussi abolir les porteurs d’uniformes, les filles de plus de quinze ans encore vierges, les êtres réputés sains et leurs prisons. Si nous sommes quelques-uns prêts à tout risquer, c’est parce que nous savons maintenant que l’on n’a jamais rien à risquer et à perdre. Aimer ou ne pas aimer tel ou telle, c’est exactement la même chose.
Jean-Michel Mension
Fragments de recherches pour un comportement prochain
La nouvelle génération ne laissera plus rien au hasard. (Gil J Wolman)
De toutes façons on n’en sortira pas vivants. (Jean-Michel Mension)
L’Internationale lettriste veut la mort, légèrement différée, des arts. (Serge Berna)
Délibérément au-delà du jeu limité des formes, la beauté nouvelle sera DE SITUATION. (Guy-Ernest Debord)
Internationale lettriste n° 2, feuille ronéotypée recto-verso, février 1953.