Critique européenne des Corps Académiques… (janvier 1962)

Critique européenne des Corps Académiques des Universités, Collèges et Instituts de Recherche de la métropole de New York et de l’aire de Cambridge-Boston ; à propos du programme inadéquat que les susdits viennent soumettre au président Kennedy et au gouverneur Rockefeller dans le but de renverser l’absurde processus de la « défense civile » aux États-Unis

Nous nous permettons d’indiquer l’absurdité et le parfait néant de la déclaration faite par vous au nom du « Civil Defense Letter Committee » dans le New York Times, du samedi 30 décembre 1961 (International Edition), sauf si on la considère en tant que pure déclaration de conscience personnelle contre la nouvelle politique de défense américaine. Nous regrettons qu’il ne se trouve dans toute votre opposition aucun élément d’une importance réelle, et nous vous proposons de vous joindre à nous dans une attitude concrète pour notre but commun, Ainsi nous vous suggérons d’adopter le programme positif du « Comité européen pour une relance de l’expansion humaine », qui se propose de faire apparaître une nouvelle Renaissance culturelle, une nouvelle liberté pratique.

Pour cela, il faut souscrire à nos trois exigences fondamentales :

1. Personnellement, je promets de ne jamais, en aucune circonstance, mettre les pieds dans un abri anti-atomique. Il est préférable de mourir debout avec tout l’héritage culturel de l’humanité dont la modification doit rester, jusqu’au bout, notre tâche.

2. Je refuse d’avoir quoi que ce soit à faire avec la nouvelle noblesse des cavernes ; de ne jamais boire un verre en compagnie d’un possesseur ou d’un constructeur d’abris atomiques. Parce que cette aristocratie des souterrains, même si elle parvenait à survivre au désastre total, serait d’une qualité de rats d’égouts ; et ne pourrait en aucun cas être considérée comme la continuation de la race humaine.

3. Ce n’est même pas la guerre thermonucléaire, c’est la menace de cette guerre, au point où nous en sommes arrivés, qui marque déjà la faillite absolue de tous les politiciens dans le monde. Les dirigeants capitalistes ou bureaucratiques, à l’Ouest ou à l’Est, font déjà usage tous les jours de leurs bombes : pour assurer leur pouvoir chez eux. C’est seulement si l’on reconnaît qu’ils se sont mis eux-mêmes hors la loi que l’on peut établir une nouvelle légalité humaine. Je m’engage donc à n’attendre les nécessaires bouleversements de la société d’aucune des formes existantes de la politique spécialisée.

Dans un premier temps, on peut exiger une neutralisation des programmes de défense des États par leur réduction à la Force Armée contrôlée par les Nations Unies. Parallèlement, le programme militaire de conquête pourrait être soumis à un organisme mondial comme l’U.N.E.S.C.O., transformé radicalement et débarrassé de ses dépendances envers des bureaucraties étatiques. Cet organisme coordonnerait alors les activités spatiales-interplanétaires des différents groupements dans une perspective de solidarité humaine. Seule l’unification mondiale du potentiel agressif de nos traditions militaires vers une expansion spatiale peut garantir la paix sur terre, l’alternative entre paix et guerre atomique étant fausse, parce qu’en fait, il n’y a pas de choix. Le choix qui s’impose à l’homme moderne est entre la continuation d’une concurrence impérialiste de destruction humaine ou la renaissance de l’humanisme à l’échelle spatiale.

Mais la nouvelle frontière de l’homme n’est pas seulement dans les étoiles : elle est dans la transformation radicale de la vie sur cette planète. Si les États peuvent s’entendre pour maintenir la paix en la transportant dans l’expansion spatiale, sur la question de l’expansion totale de l’homme nous ne pouvons pas nous entendre avec les États. Nous ne sommes pas inconditionnellement partisans de la paix : l’erreur profonde des intellectuels américains, c’est leur défense, dépourvue d’imagination, de la paix actuelle qu’ils veulent conserver. Personne n’aime vraiment cette paix, qui nourrit non seulement la menace d’une telle guerre, mais toute l’aliénation de la vie quotidienne actuelle, tout l’ennui d’une société en voie de cybernétisation. La paix reste, comme cette vie même, sans importance ; et ce qui est important, c’est l’expansion humaine : la création d’événements qui nous conviennent.

Nous allons vous informer plus largement sur vos attitudes inachevées, aussi bien que sur celles des Russes, dans notre revue MUTANT, qui commencera à paraître au printemps. Nous souhaitons que beaucoup des signataires de votre manifeste nous rejoignent dans cette perspective qui, elle, peut donner à votre tendance un avenir.

MUTANT

Correspondance : 32, r. de la Montagne-Ste- Geneviève
Paris-5e. France.

 

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European critique of the inadequate programme which has just been presented to President Kennedy and Governor Rockefeller by the academic staff of Universities, Colleges and Research Institutes for New York City and the Cambridge-Boston Area, with the aim of overthrowing the absurd procedures of “civil defense” in the United States

We should like to point out the absurdity and complete emptiness of the declaration made by you as the “Civil Defense Letter Committee” in The New York Times of Saturday December 30, 1961 (international edition), unless one considers it only as a pure declaration of personal conscience against the new American defense policy. We regret the fact that there cannot be found a single element of real importance in all your oppositions, and we propose that you join us in a concrete attitude towards our common aim. We therefore suggest that you adopt the positive programme of the “Comité européen pour une relance de l’expansion humaine” (European Committee for the Persuit of Human Expansion), which proposes to create a new cultural Renaissance, a new practical liberty.

For this, it is necessary to subscribe to our three fundamental demands:

1. I promise that I shall never, personally, under any circumstances, set foot in an atomic shelter. It is better to die standing with all the cultural heritage of humanity, the perpetual modification of which must remain our task.

2. I refuse to have anything whatsoever to do with the new aristocracy of the caves, and never to drink in the company of an owner or builder of an atomic shelter; for this subterranean aristocracy, even if it manages to survive the disaster, will be of the quality of sewer rats, and could in no case be considered a continuation of the human race.

3. At this point in our present situation it is not so much the thermonuclear war, but rather the threat of this war, which shows the absolute bankruptcy of all the politicians in the world. The capitalist or bureaucratic leaders of both East and West already make use of their bombs every day, in order to secure power for themselves. Only if one realizes that they have placed themselves beyond the law can one establish a new legality. I therefore pledge myself not to expect the necessary upheavals of society by any of the existing formations of specialized politics.

In the first stages one can demand a neutralization of the defense program of States by their transference into an Armed Force controlled by the United Nations. At the same time military programme of conquest could be submitted to a world organization like U.N.E.S.C.O. though radically transformed and divested of its dependency upon state bureaucracies. This organization would coordinate the development of spatial-interplanetary activities of different groups into a perspective of human solidarity. Only the unification of our military traditions in the whole world towards a spatial expansion can guarantee world peace, the alternative of peace and atomic war being false, because in fact there is no choice. The choice which imposes itself upon modern man is the continuation of imperialist competition of human destruction or the Renaissance of humanity on a spatial scale.

But the new frontier of mankind is not only in Outer Space: it is in the radical transformation of life on this planet. If the nations can come to an agreement to maintain peace by transforming it into spatial expansion, on the question of total expansion of mankind we cannot come to an understanding with the “nations.” We are not unconditional partisans of peace: the profound error of the intellectual Americans is their defense, devoid of imagination, of the actual peace which they wish to preserve. Nobody really likes this peace, which nourishes not only the menace of such a war, but also the total alienation of actual daily life, and the absolute boredom of a society on the road to cybernetization. Peace remains, like this life itself, without importance; and what is important is human expansion: the creation of events that suit us.

We are going to inform you in greater detail in our review MUTANT, which will appear in the spring, of your underdevelopped attitudes, as well as those of the Russians. We hope that many of the subscribers to your manifest will join us in this perspective, which can give a future to your direction.

MUTANT

Correspondence: 32, r. de la Montagne-Ste-Geneviève,
Paris-Ve, France.

 

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En fait rédigé par Asger Jorn et Guy Debord, ce tract, imprimé recto verso en anglais et en français, fut publié en janvier 1962.

À l’époque, Asger Jorn ne faisait plus partie de l’Internationale situationniste : sa notoriété de peintre devenant un handicap à sa participation à l’activité organisée de l’I.S., il avait démissionné en avril 1961, tout en exprimant par écrit son accord complet (il continuera pendant un an à y collaborer sous le pseudonyme de George Keller).

Le projet de création de la revue Mutant est une des multiples interventions d’Asger Jorn mais ne déboucha sur aucune suite pratique. Il intervient au moment où les États-Unis s’engagent dans un programme de construction d’abris anti-atomiques de « défense civile » et de conquête spatiale, définie comme « nouvelle frontière ».

Les illustrations reproduites ici ont paru en avril 1962 avec la première partie des « Banalités de base » de Raoul Vaneigem, dans la revue Internationale situationniste.

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