« L’histoire du visa U.S.A. est magnifique. Compte sur moi pour utiliser cela dans la revue. »
Lettre de Guy Debord à Asger Jorn, 12 octobre 1958.
« Asger m’écrit aussi que le visa U.S. lui a été refusé (bien qu’il ait été invité, par l’attaché culturel de l’ambassade à Londres) parce que lui s’est refusé à jurer qu’il n’avait jamais été membre du parti communiste. En réponse, il a écrit que l’on enlève un tableau de lui exposé à Pittsburgh. Ce qui me paraît une très bonne attitude. »
Lettre de Guy Debord à Constant, 12 octobre 1958.
Les situationnistes en Amérique
Au mois d’octobre Jorn, qui était à Londres et se disposait à partir pour le Mexique, demanda à l’ambassade des États-Unis un visa pour passer par New York. Il avait été précédemment l’objet de diverses sollicitations et invitations d’organismes culturels américains. On lui demanda de jurer qu’il n’avait jamais été membre d’un parti communiste, ou d’organisations voisines, et qu’il n’avait jamais été emprisonné pour des crimes. Jorn refusa, évidemment, avec indignation. L’accès des États-Unis lui étant interdit, il écrivit à la Fondation Carnegie, à Pittsburg, qu’il refusait toute présentation officielle en Amérique de productions artistiques dont l’auteur est personnellement indésirable dans le pays.
Avant de quitter la France, Jorn avait dénoncé dans sa lettre du 20 septembre au quotidien danois Politiken, une autre forme d’hypocrisie qui, sous des louanges stupides, tend à la falsification de l’histoire récente de l’avant-garde expérimentale, et de son propre rôle :
« Politiken a publié le 10 septembre un article intitulé “Le grand Asger”. Je me permets de corriger certaines erreurs. Ma rencontre avec Dotremont, au sanatorium de Silkeborg en 1951, n’est pas à l’origine du mouvement Cobra (l’Internationale des Artistes Expérimentaux), ni de notre amitié personnelle. Cette époque marque au contraire une fin sur les deux plans : l’échec économique de l’expérience Cobra nous avait mené à ce point d’épuisement physique, et d’autre part les divergences idéologiques profondes survenues entre les différents participants avaient déjà entraîné l’arrêt définitif de leur collaboration…
Le mouvement Cobra, fortement soutenu par les autorités artistiques en Hollande et en Belgique, mais qui n’avait jamais obtenu sa reconnaissance au Danemark, a décidé son autodissolution en 1951 (cf. annonce dans le numéro 10 de la revue Cobra).
Entre 1953 et 1957, j’ai participé à l’activité du Bauhaus Imaginiste, principalement en Italie, en France et en Grande-Bretagne. Les positions expérimentalistes de ce mouvement étant opposées à toute conception d’un enseignement didactique des arts, je n’ai pu diriger l’école de céramique dont vous parlez…
Mon récent livre, Pour la forme, est le résumé théorique des travaux de cette période qui avait dépassé la tendance de Cobra. Cette période est elle-même achevée… Je participe maintenant aux recherches de l’Internationale situationniste et je veux espérer que celles-ci seront comprises dans mon pays plus vite et plus exactement que les phases antérieures de ma participation à l’art moderne. »
La rédaction de Politiken, répondant quelques jours après avec embarras, prétendit s’excuser par le seul fait que l’article incriminé, écrit par Dotremont, avait subi des coupures. Cette réponse avait l’impudence de suggérer que peut-être Dotremont croyait de bonne foi être plus notre ami qu’il ne l’était en fait et, indiquant son adresse actuelle, conseillait scandaleusement de se mettre en contact direct avec lui pour dissiper le malentendu. En attendant Politiken jugeait peu opportun de publier les rectifications dont le volume total n’atteignait pas le dixième de son article confusionniste. L’I.S., par une lettre signée de Khatib, brisa nettement la malhonnête tentative de discussions :
« M. le rédacteur en chef, le rôle de faux-témoin systématique de Christian Dotremont n’est en rien atténué parce que la rédaction de Politiken a opéré certaines coupures dans le déroulement de ses contre-vérités.
Nous n’avons aucun contact à garder avec Dotremont, qui sait parfaitement le mépris dans lequel nous le tenons.
Par contre, si Politiken, qui a pris la responsabilité de rendre public un tel texte, refuse maintenant de publier les rectifications qu’il nécessite, nous publierons celles-ci ailleurs — et naturellement dans le prochain numéro de notre revue — en signalant comment le droit de réponse est traité dans votre journal. »
Internationale situationniste n° 2, décembre 1958.