Lettre [recommandée] à Dietrich Mahlow et Wilhem Sandberg
Paris, le 21 juillet 1964
Messieurs,
J’ai récemment entendu dire, de différents côtés, que j’avais figuré, avec mon livre Mémoires, dans l’exposition Schrift und Bild que vous avez organisée l’an dernier, à Baden-Baden d’abord. Cette exposition a ensuite été transportée ailleurs, notamment à Amsterdam, toujours avec ma participation annoncée dans les catalogues et, je suppose, effectivement représentée par ce livre.
Je tiens à vous signaler que cette participation a été annoncée et effectuée sans mon accord et même sans m’en prévenir, ni avant, ni pendant, ni après. J’ajoute que, sollicité, je n’aurais pas accepté de participer à une manifestation si peu satisfaisante. Le livre en question ayant paru aux éditions de l’Internationale Situationniste, il est également impossible que d’autres ayants droit aient pu intervenir pour donner à qui que ce soit l’autorisation juridique ou morale de me mêler à cette exposition. Il s’agit donc là d’une escroquerie caractérisée et, vu les positions de mes camarades situationnistes sur la culture actuelle, d’une imposture grave.
Je vous demande donc de répondre aux questions suivantes :
Est-il habituel qu’un artiste vivant soit élu dans vos expositions sans son consentement ?
Est-il habituel qu’un artiste qui participe à vos manifestations n’en reçoive pas le programme, les catalogues, ou d’une manière plus générale, un avertissement quelconque signalant sa présence et l’utilisation de son nom ?
Est-il tolérable d’être élu contre son gré (et apparemment complice, du fait que l’on demeure dans une ignorance délibérément organisée) à une manifestation qui, par ailleurs, pratique notoirement une sélection ; et qui a refusé certains artistes qui ne demandaient pas mieux que de s’y mélanger ?
Qui est responsable, dans mon cas, de cet inacceptable procédé ?
Je vous prie, Messieurs, de me faire parvenir dans le plus court délai ces quelques informations,
Guy Debord
Lettre à S. H. Levie [collaborateur au Stedelijk Museum d’Amsterdam]
Paris, le 20 août 1964
Monsieur,
Votre lettre du 28 juillet accumule les inconséquences. Vous rejetez sur M. Mahlow la responsabilité de cette indélicatesse qu’a été ma présence forcée dans vos manifestations ; alors que le 27 juillet la Staatlische Kunsthalle de Baden-Baden me répond que le coup viendrait de M. A. Petersen, de votre musée.
De plus, tout en rejetant la faute sur d’autres, vous croyez cependant devoir la légitimer. Et vos raisons, que l’on considère leur valeur juridique ou bien l’élégance de l’argumentation, sont aussi malheureuses que votre première dérobade.
La mention du copyright peut avoir son utilité pour empêcher des rééditions, ou des reproductions partielles. Pas pour interdire la présence du livre lui-même, et du nom de l’auteur, dans une manifestation artistique qu’il désapprouve. Sauf vous, personne, heureusement, n’avait pensé jusqu’ici qu’un tel luxe de précautions devrait être obligatoire pour éviter une imposture si grossière.
Personne ne conteste à un musée le droit d’exposer en permanence (ou de garder dans ses réserves) tout objet qui l’intéresse, et qu’il a pu acquérir d’une manière ou d’une autre. Ce droit ne peut évidemment s’étendre à une exposition d’actualité, orientée idéologiquement, esthétiquement. La liberté pour un artiste (pour n’importe qui…) de refuser de cautionner par sa présence une telle option — cette exposition ayant d’ailleurs refusé certains autres artistes ou courants actuels — est une liberté fondamentale. Si vous avez l’impudence de nier cette liberté en principe, après l’avoir fait sournoisement en pratique, mes amis et moi-même pensons qu’elle vaut certainement d’être défendue, et par les moyens qui nous conviendront.
Je demandais au Stedelijk Museum — ou plutôt à MM. Mahlow et Sandberg — qui est responsable de cette affaire ; et ne croyez pas que cette recherche soit close. Personne ne vous demandait « votre avis ». Qui croyez-vous donc être pour proposer ainsi votre avis ? Quelle importance vous croyez-vous reconnue sur le plan de l’art, ou même du droit, ou sur tout autre plan, pour donner votre avis ; et un avis si imbécile, de surcroît ? Gardez votre avis pour votre supérieur hiérarchique, quand il voudra bien l’entendre.
Guy Debord
Lettre au Stedelijk Museum d’Amsterdam
Paris, le 21 avril 1966
« Un livre de Guy Debord a figuré sans son autorisation, et sans qu’il en soit averti d’aucune manière, à l’exposition Schrift und Bild, à Baden-Baden, puis à Amsterdam. À une première protestation adressée aux organisateurs quand cette manœuvre nous a été finalement signalée, les Allemands de Baden-Baden répondent que la responsabilité en incomberait au Hollandais Ad. Petersen, du Stedelijk Museum d’Amsterdam, tandis que ce musée affirme, en même temps, que le choix dépendait de l’Allemand Mahlow, directeur du Kunsthalle de Baden-Baden (à suivre). » (I.S. n° 9, p. 35)
Vu la malhonnêteté intellectuelle du Stedelijk Museum, il ne saurait être question de vous envoyer le numéro 10 d’I.S., à quelque prix que ce soit.
Guy Debord