« Die Welt als Labyrinth » explique l’accident d’Amsterdam de la façon classique, suivant l’optique du progrès idéalisé ou absolu, où une optique historique est nécessairement dépassée par la nouvelle qui n’a plus besoin de l’ancienne, qui est devenu identique avec la réaction, cependant que la nouvelle optique devient identique à l’optique révolutionnaire. Suivant cette optique, le directeur Sandberg devient l’expression de la réaction la plus dangereuse comme il l’est dans l’optique de Constant, qui n’a jamais compris l’ambivalence de chaque révolution qui est en même temps le saut vers un stade supérieur et une chute vers un stade antérieur, ce dernier côté de la révolution fait que le vrai révolutionnaire n’inscrit jamais la révolution dans l’optique évolutionniste et unilatérale.
La grande valeur du Situationnisme est d’un côté d’avoir ouvert des nouvelles perspectives créatrices vers le futur. Cette ouverture nous fixe un nouveau point zéro de conversion, la réalisation de l’urbanisme unitaire, et toutes les activités du mouvement Internationale Situationniste deviennent des préparations pour la réalisation de ce but et sera jugée au point de vue valeur suivant l’apport à la réalisation de ce but, ce point zéro à partir duquel le véritable rayonnement de la création situationniste peut commencer.
Mais si la réalisation de l’urbanisme unitaire avait été l’unique but du situationnisme comme ça l’est pour Constant, alors à ce moment l’urbanisme unitaire aurait été absolument anti-situationniste et nous aurions été des simples précurseurs d’une vie à venir, et des précurseurs qui seraient condamnés par les générations futures comme des sales réactionnaires anti-situationnistes, comme Constant juge Sandberg, « dont les réalisations représentent parfaitement ce réformisme culturel qui, lié à la politique, s’est trouvé au pouvoir presque partout en Europe après 1945 ». C’est qu’une révolution, vue d’une certaine distance, se présente comme une simple réforme ou modification. C’est possible qu’ils n’ont « rien pu faire pour les véritables novateurs », mais une chose sont les conditions historiques qui est ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire, une autre chose, c’est justement ce qui crée la situation. Il y a ceux qui se balancent sans cesse à la limite de ce qu’on ne peut pas faire, qui risquent sans cesse leur situation pour dépasser le possible, et tous ceux sur qui on peut dire ils auraient pu faire mieux, et, de tous les représentants du pouvoir culturel après la guerre, Sandberg est l’unique dans son domaine sur lequel je ne peux pas appliquer ce dernier terme. Les attaques contre Sandberg étaient même moins violentes le 4 mars 1960 qu’à l’occasion de l’expo Cobra en 1949, où on exigeait sa démission immédiatre, et ces deux conflits sont loin d’être les seules batailles faites pour se débarrasser de Sandberg. Il a le mérite d’avoir été capable de tenir sa place où tous nous autres étions considérés comme des lépreux et, s’il n’a rien pu faire pour les véritables novateurs, il a pourtant pu exposer et acheter des travaux pré-situationnistes de Constant, Gallizio et moi, et offrir une exposition au mouvement situationniste, absolument contraire aux intérêts des réformistes normaux.
Un jugement situationniste ne peut se réduire au jugement de l’attitude purement spatiale, mais doit aussi juger en rapport avec le temps qui modifie tout, et dans son espace-temps je considère Sandberg comme un révolutionnaire en le poussant à son efficacité extrême, cependant ceux qui freinent les événements dans le déroulement du temps d’un point de vue situationniste sont à considérer comme étant réactionnaires. C’est pour cette raison que je n’hésite pas à dénoncer le travail du bureau d’urbanisme unitaire d’Amsterdam comme étant réactionnaire. La décision de la réalisation du labyrinthe dirigée par ce bureau était prise par le congrès de Munich l’automne 1959 pour le mois de mai 1960. Le bureau n’avait pas pris contact avec le musée d’Amsterdam avant le 5 mars, et à cette époque uniquement provoqué par la présence de Debord et moi, et avec une contrariété démonstrative de la part de Constant. Entretenir des argumentations préparatives pour une exposition coûteuse était évidemment plus que difficile, surtout parce que les plans auraient pu être faits et soumis au jugement des mois à l’avance, de l’argent demandé des mois d’avance comme ça a été fait pour la monographie de Constant à l’occasion de son exposition personnelle au Stedelijk Museum.
Le bureau situationniste avait eu la confiance complète pour la réalisation de l’exposition au Stedelijk Museum et pour l’édition de Potlatch, par la confirmation de sa volonté révolutionnaire. Une activité réactionnaire sous le drapeau révolutionnaire s’appelle du sabotage, et c’est pour cela que je n’hésite pas à dénoncer le bureau d’Amsterdam comme un nid de sabotage contre l’activité situationniste. L’acte de sabotage consiste à provoquer une situation désavantageuse pour le mouvement, et c’est ainsi que l’affaire d’Amsterdam s’inscrit pour moi dans son aspect principal comme de la provocation. Ainsi pour moi, la parution des maquettes d’églises dans l’article de Constant ne m’étonne pas plus que les entreprises d’Alberts et Oudejans. Ça explique tout au contraire.
Le fait que Constant ait censuré un texte de Debord pour l’employer dans un catalogue pour une exposition en Allemagne, a incité ce dernier à écrire dans I.S. 4 : « Il est parfaitement inacceptable que nos publications soient remaniées — si ce n’est par l’ensemble de l’I.S. — et paraissent continuer d’engager la responsabilité de leurs auteurs. On doit faire savoir qu’on retire sa signature après la moindre censure. » Ce que j’ai écrit ici est la partie censurée de mes considérations sur cette affaire d’Amsterdam, le reste peut être lu dans la revue. Je ne suis pas contre les modifications des textes pour un mouvement, même quand il y a des signatures, vu que ça permet une homogénéité d’importance, et je ne suis même pas contre des détournements complets d’une pensée, comme j’accepte les mêmes dans la vie. Mais puisque je n’ai pas lu ce texte et me sens obligé d’ajouter des commentaires, et puisque ce compte rendu est fait par l’ensemble de l’I.S., je commence à me demander si je fais encore partie de cet ensemble, sur lequel je prends mes responsabilités rédactionnelles.
Il y a dans chaque collaboration organisée une réification nécessaire de l’originalité de la création individuelle créée, ou bien par l’accord d’une discipline commune, ou par la soumission à un dirigeant pour lequel les autres collaborateurs deviennent des instruments pour la réalisation multipliée de ces idées. Cette direction peut passer de l’un à l’autre suivant l’état d’inspiration, comme dans les improvisations du jazz, ou être définitivement établie comme dans l’orchestre classique où une hiérarchie de degrés d’importance inférieure devient possible. Ceci sont des conditions inévitables d’une collaboration. Il est évident que le système de hiérarchie classique est inconciliable avec la méthode situationniste. Chaque situationniste se prépare dans l’immédiat à prendre la direction temporaire du mouvement en réalisant un effort qui est en même temps exceptionnel dans l’immédiat, en créant une situation immédiate et liée à la perspective déterminante du mouvement. Le danger pour chaque situationniste est de devenir spécialiste de l’un des deux. Ici, se trouve le conflit non-résolu dans le mouvement qui est pour nous l’essence même de l’affaire d’Amsterdam. Si Sandberg, comme on prétend que j’ai dit, était vraiment le représentant parfait ou normatif du réformisme culturel après 1945, alors notre attitude envers lui serait notre attitude envers ce réformisme, et on pourrait discuter si ce demi-modernisme neutre est préférable au pire, la réaction ouverte. Nous avons déjà eu une expérience pareille dans le M.I.B.I., avec notre conflit avec le fondateur de la Hochschule für Gestaltung à Ulm, l’architecte Max Bill. Notre critique ne servait qu’à aider la réaction à passer les pleins pouvoirs à Ulm au sinistre imbécile Maldonado, ce qui n’était pas mal du tout parce que ça permettait au groupe « Spur » de démasquer la futilité du tricotage théorique de Bense. Mais Sandberg est déjà un homme fini qui prend sa retraite l’année prochaine, et la possibilité que sa politique pourrait être poursuivie par un autre n’existe pas. Un tel homme ne serait jamais élu à sa place. Sa présence dans ce milieu est uniquement due aux circonstances hasardeuses de la guerre et ne peut se répéter que dans des circonstances de bouleversement social. La question de un pour ou contre la politique de Sandberg ne se pose ainsi pas. Il ne reste que le problème de la dignité avec laquelle le mouvement révolutionnaire traite son passé. Sans cette dignité, il n’aura pas d’histoire révolutionnaire, pas d’étapes et pas de progrès visibles ni réels vers aucun but, et seulement les œuvres réalisées indiquent ces étapes. Je ne veux pas indiquer les étapes marquées par les membres du mouvement situationniste par des créations et situations précises qui font date dans l’histoire de l’art et de la culture. Je veux uniquement essayer d’expliquer les véritables causes de l’anti-date d’Amsterdam. Jusqu’à maintenant, toutes les situations qui datent dans le mouvement situationniste ont été les réalisations des individus ou des fractions du mouvement. La manifestation d’Amsterdam était le premier essai d’orchestration du mouvement entier, et la responsabilité entière était donnée au bureau d’Amsterdam après des violentes discussions à Munich au sujet de la création individuelle. En reconnaissant que l’orchestration du jeu exige des connaissances de l’orchestration, et en acceptant la supériorité d’un enseignement architectural sur la connaissance des artistes libres et spontanés dans ce domaine, nous avons tous cédé. Même si on pouvait expliquer que le bureau n’avait pris aucun contact avec les diverses sections nationales pour la réalisation de l’orchestration de cette entreprise avant sa réalisation théorique, par la méfiance qui régnait à Munich, ce silence n’a fait que pousser cette méfiance encore plus loin et, après l’échec total, créé une hostilité complète entre des groupes à l’intérieur du mouvement, en créant une fissure en partie irréparable entre les partisants des créations de situations immédiates à tout prix et ceux qui n’acceptent que des buts définitifs.
Si le projet du labyrinthe avait été un projet bouleversant le concept même du labyrinthe, si le projet avait mis dans une situation nouvelle la construction des labyrinthes, si le projet avait montré que le labyrinthe en rapport avec le problème du réseau de l’appareil de Galton était le problème essentiel du situationnisme, l’échec aurait pu être expliqué par des raisons pratiques et extérieures au mouvement. Mais le projet même nous montre que le bureau ne connaît même pas ce qu’on appelle geometria situs ou analysis situs. Si le bureau s’était donné la peine d’étudier le principe des labyrinthes paru en 1873 dans Math. Annalen de Chr. Wiener : « Über eine Aufgabe aus der Geometria situs », sa construction aurait été plus intéressante, même si on avait ignoré le développement inouï que la situlogie sous nom de topologie a fait depuis la fin de la guerre.
Il est d’une telle évidence que chaque action situationniste doit se déclencher à partir d’un point extrémiste d’avant-garde sur chaque point où on concentre l’action. Il sera impossible d’orchestrer les constructions situationnistes sans être considérés comme ridicules et impuissants, si les recherches dans le domaine des analyses situlogiques ne dépassent pas la topologie générale, et il est encore plus grave quand le projet du labyrinthe d’Amsterdam démontre clairement pour tous que la science moderne de ce domaine spécifique, la topologie reste complètement inconnue, et il est encore plus gênant que ce soit un artiste libre et spontané qui doive faire cette remarque. Il est pourtant important pour le mouvement qu’une telle critique ne vienne pas uniquement de l’extérieur, spécialement parce que nous ne pouvons pas nous contenter avec la topologie telle qu’elle se présente dans sa formule actuelle. Nous serons obligés et nous serons aussi capables de l’absorber dans une situlogie générale et établir une situgraphie utilisable, ce qui est d’ailleurs commencé avec les perspectives de la critique d’Isou. L’amateurisme est pour moi la force essentielle du situationnisme. L’anti-situation du dilettantisme du bureau d’Amsterdam n’a fait que détourner la situation de l’extérieur vers l’intérieur du mouvement. La situation est là, qu’on se débrouille.
Manuscrit d’Asger Jorn, dactylographié en français, 1960. Archives du Silkeborg Kunstmuseum.